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encore dans le Dialogue sur les deux sciences (1638) comme l’opinion d’un des interlocuteurs, sans que l’autre la réfute. Il est vrai que la même œuvre contient aussi une affirmation de l’inertie en toute direction ; mais, comme M. Wohlwill l’a justement fait ressortir, loin d’être proclamée comme principe universel, elle occupe pour ainsi dire « un coin » du traité[1]. Galilée, d’ailleurs, n’a jamais cessé de considérer le mouvement circulaire des corps célestes comme « naturel », à la manière des anciens et de Copernic. En ce qui concerne la genèse du concept d’inertie chez Galilée, il est particulièrement important de constater qu’il a commencé par affirmer la perpétuité du mouvement en direction horizontale, et qu’il s’est constamment servi avec prédilection de cette forme particulière du principe[2]. Il l’a démontré par l’exemple de la boule roulant sur un plan[3], et il semble au moins probable que cette déduction se rattache étroitement aux conceptions de Cusa que nous avons exposées plus haut.

Il se peut que Descartes ait trouvé le principe d’inertie indépendamment de Galilée ; toutefois, à l’époque même où il le formule pour la première fois (vers 1620), diverses œuvres de Galilée qui contenaient, au moins implicitement, le principe en question étaient déjà publiées, d’autres étaient certainement répandues par diverses communications, et il est plus probable que Descartes, avec sa puissante logique, n’a fait qu’étendre les propositions qu’il trouvait chez son devancier. On sait d’ailleurs que Descartes ne mentionnait pas souvent ses prédécesseurs, même quand les emprunts qu’il leur faisait étaient manifestes — habitude tout à fait générale à cette époque[4]. En tout cas, on ne saurait dénier à Descartes le mérite d’avoir formulé le premier une théorie complète et logique de la conservation de la vitesse en ligne droite, et d’avoir proclamé l’importance primordiale de ce principe pour la théorie du mouvement en général[5].

  1. E. Wohlwill, p. 124.
  2. Ib., p. 403 ss.
  3. Cf. plus bas, p. 128.
  4. Cf. Duhem. Les origines de la statique, p. 332.
  5. Sur l’historique du principe d’inertie on trouvera d’utiles indications chez Rosenberger. Geschichte der Physik. Brunswick, 1884 et chez Lasswitz, Geschichte der Atomistik. Hambourg, 1890, vol. II, p. 19 ss. Pour Galilée et Descartes nous avons surtout suivi Wohlwill, l. c., dont l’appréciation nous semble très équitable. Cf. aussi P. Tannery. Galilée et les principes de la dynamique. Revue générale des sciences, vol. XIII, 1901, p. 333.