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encore de la conception de l’inertie que le mouvement circulaire naturel d’Aristote et de Copernic.

Au xviie siècle encore nous voyons Carpentarius qui, cependant, à bien des égards, s’était affranchi de l’influence de la philosophie scolastique, se servir contre Aristote, pour établir la pesanteur de l’air, d’une démonstration où il est dit que l’air poussé en haut ne se mouvrait vers « aucun centre » ; le mouvement serait donc infini, ce que, bien entendu, l’auteur considère comme absurde[1].

Cependant au xvie siècle Cardan avait repris, avec plus de netteté encore que Cusa, les idées d’Hipparque. Réfutant la théorie d’Aristote sur le mouvement d’impulsion il dit : « Et quand on suppose que tout ce qui est mouvé, est mouvé de quelque chose, c’est très vrai : mais ce qui mouve, c’est une impétuosité acquise, ainsi que la chaleur en l’eau[2]. »

C’est, on le voit, l’exemple dont s’est servi Themistius. Cependant, Cardan n’eut pas la hardiesse de s’affranchir complètement des idées péripatéticiennes ; il suppose qu’un projectile, en quittant l’appareil qui le lance, continue pendant quelque temps à accroître sa vitesse, et ce à cause de la réaction de l’air, tout comme chez Aristote.

Le concept de la vis impressa fut complètement développé, dans le sens d’Hipparque, par Benedetti, vers la fin du xvi. Benedetti eut en outre le mérite de tenter une explication de la trajectoire d’un corps lancé, par la décomposition du mouvement. Benedetti explique qu’un corps lancé d’une fronde a la tendance à suivre une ligne droite, tangente au cercle décrit par la fronde, mais que la gravité venant à agir sur lui, la composition des deux mouvements crée une trajectoire courbe[3]. C’était une grave innovation. La composition d’un mouvement courbe à l’aide de deux mouvements en ligne droite était, il est vrai, connue depuis l’antiquité. On trouve une déduction de ce genre chez Aristote ; un mouvement en cercle est la résultante de deux mouvements en ligne droite, dont l’un constant et l’autre variable, continuellement

  1. Carpentarus. Philosophia libera, 2e éd. Oxford, 1622, p. 67. — Sur l’emploi de la preuve par l’absurde, cf. plus bas p. 107.
  2. Le livre de Hiérome Cardanus, médecin milanais, de la Subtilité, trad. Richard Le Blanc, Paris, 1556, f. 47. Le terme que Le Blanc a rendu par impétuosité est impetus. Cf. Hier. Cardani De subtilitate. Nuremberg, 1550, p. 56.
  3. Io. Baptisti Benedicti Diversorum speculationum liber. Turin, 1585, p. 160 ss.