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raissait sans doute comme un mouvement vers un but, donc forcément limité. S’il en avait été autrement, Aristote, en exposant sa théorie du mouvement circulaire naturel des corps célestes, aurait été contraint d’y faire allusion ; on sait assez qu’il se donne toujours beaucoup de peine pour réfuter les opinions des atomistes. Or, son exposé semble au contraire prouver qu’il n’avait à combattre sur ce point aucune opinion adverse[1]. On pourrait objecter que cet argument n’est pas absolument probant en ce qui concerne les corps terrestres : chez Aristote, en effet, le mouvement des uns et des autres est très différent, et il eût pu à la rigueur (bien que ce soit peu probable) en être de même chez les atomistes. Mais un autre passage de la Physique nous semble décisif à cet égard. Aristote se sert de l’impossibilité du mouvement continu en ligne droite pour une preuve par l’absurde ; cette impossibilité lui semble manifeste au point qu’il ne suppose même pas qu’on puisse différer d’avis sur ce point[2]. Il se serait certes exprimé tout autrement si le principe d’inertie avait été affirmé, même implicitement, surtout s’il avait été formulé par Démocrite.

Dans le même ordre d’idées, un passage de Pappus, mathématicien du iiie siècle après Jésus-Christ, prouve à quel point la conception d’une persistance indéfinie du mouvement rectiligne était étrangère aux anciens. Pappus suppose un mobile d’un poids donné, posé sur un plan horizontal, et qui, pour être mû, a besoin d’une force (δύναμις) donnée ; il demande qu’on calcule la force nécessaire pour mouvoir le poids si le plan est incliné sous un angle donné[3]. Ce passage n’admet, semble-t-il,

    mouvement circulaire. — Pour la connaissance du mouvement de rotation chez les anciens, cf. plus bas p. 99.

  1. Aristote, Traité du ciel, trad. Barth. Saint-Hilaire, livre Ier, chap. 2, § 5 : « Puis donc qu’il y a un mouvement simple et que c’est le mouvement circulaire, puis donc que le mouvement d’un corps simple doit être simple aussi et que le mouvement simple doit être celui d’un corps simple… il s’ensuit de toute nécessité qu’il existe un corps simple qui, par sa propre nature, doit être doué du mouvement circulaire ». Ib., l. II, chap. Ier, § 2 : « Or, comme le mouvement circulaire est parfait en lui-même, il enveloppe tous les mouvements incomplets qui ont une limite et un point d’arrêt, n’ayant lui-même ni commencement ni fin et étant sans interruption ni repos durant l’éternité toute entière » Métaphysique, l. XII, chap. VI : « Le seul mouvement qui, dans l’espace, puisse être continu, c’est le mouvement circulaire. »
  2. Cf. plus bas p. 107.
  3. Pappus, éd. Hultsch. Berlin, 1876, livre VIII prop. 9 (vol. III, p. 1055)