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l’action de deux masses, nous avions pensé saisir ce qui se passait ; sans doute, ce n’était qu’une illusion puisque, nous l’avons vu, ni le choc, ni l’action à distance ne sont réellement explicables ; mais, cette fois, nous ne pouvons même plus conserver l’illusion ; car l’action mécanique que nous avons cru voir n’est qu’une apparence : la masse mécanique n’existe pas, elle n’est qu’une fonction de la masse électrique. Il est clair, de même, que l’électron n’a rien à faire avec notre sensation. Nous n’avons pas d’organe spécial sensible à cette forme de l’énergie — ce qui explique d’ailleurs qu’elle soit restée si longtemps inconnue — et il nous faut de longs détours, si nous voulons décrire ces phénomènes dans des termes empruntés au sens commun[1].

Nous n’avons pas à examiner ici quels sont les mérites de la théorie électrique au point de vue expérimental. Elle a d’ores et déjà rendu d’énormes services et il est à peu près certain qu’elle est capable d’en rendre de plus grands encore à l’avenir. Mais le fait qu’une théorie de ce genre ait pu surgir, qu’elle ait été immédiatement accueillie avec une extrême faveur et qu’elle soit arrivée, dans un laps de temps très court, à dominer la science entière, prouve clairement, semble-t-il, que ni le fait logique ni le fait psychologique ne jouent à beaucoup près, dans la genèse des théories, un rôle aussi important qu’on le suppose généralement. Ce n’est pas de là que les hypothèses tirent leur force explicative, mais à peu près uniquement des considérations de temps et d’espace, en première ligne du maintien de l’identité dans le temps. Il faut, nous l’avons dit, que quelque chose persiste, la question de savoir ce qui persiste étant relativement de peu d’importance. Notre esprit, conscient (inconsciemment conscient, si l’on veut bien nous permettre cet apparent paradoxe) de la difficulté de l’explication causale, est, pour ainsi dire, d’avance résigné à cet égard, consentant à accepter à peu près n’importe quoi, même quelque chose d’inexpliqué et de radicalement inexplicable, pourvu que la tendance à la persistance dans le temps se trouve satisfaite.

On jugera du même coup que, puisqu’il s’agit d’une tendance éternelle, invincible de l’esprit humain, rien ne servirait de lui opposer des barrières artificielles. La science, le voulût-elle, ne pourrait se débarrasser complètement des

  1. Cf. plus bas p. 342.