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cessus logique inconscient par lequel se constituent les théories atomiques, cette preuve nous serait fournie par l’ensemble des conceptions qu’on peut désigner par le terme de « théorie électrique de la matière » et qui se rattachent surtout au nom illustre de J.-J. Thomson. On peut affirmer, sans exagération, qu’à l’heure actuelle cette théorie triomphe, qu’elle domine l’ensemble tout entier des sciences physiques ; jamais peut-être, dans l’histoire des sciences, conception aussi générale n’est parvenue, aussi rapidement, à une telle prépondérance. Hâtons-nous de reconnaître que la théorie, par ses mérites essentiels, explique et justifie pleinement cet engouement. Elle est d’une merveilleuse généralité, pénétrant jusqu’au fond des phénomènes, non seulement de la science de l’électricité et de l’optique (liée indissolublement à la première, depuis Maxwell et Hertz), mais encore de toutes les autres branches de la physique et aussi de la chimie, où elle semble installer enfin à demeure ce vieux principe de l’unité de la matière qui était le « postulat secret » de la théorie atomique, alors que les chimistes, qui prétendaient adhérer à cette théorie, le reniaient cependant à tout moment[1]. Elle explique aussi, sans effort, ces mystérieux phénomènes des corps radioactifs qui semblaient tout d’abord ruiner les conceptions les plus fondamentales de la science. Enfin, tout en étant si générale et si abstraite, puisqu’elle résout ce qui fait le fin fond de notre représentation sensible : la matière, en quelque chose qui n’a plus rien de matériel, cette théorie est en même temps étonnamment concrète. En effet, cet élément ultime, ce composant de l’atome, dont la grandeur par rapport à ce dernier est à peu près du même ordre que celle d’une planète par rapport à l’ensemble du système solaire, ce mystérieux électron, elle le rend pour ainsi dire palpable. Grâce à l’observation de M. Wilson, nous pouvons le surprendre au moment où il sert de noyau autour duquel se condense une gouttelette d’eau ; et l’on sait qu’en combinant les résultats de cette expérience avec la formule de Sir George Stokes sur le rapport entre la vitesse avec laquelle s’opère la chute de petites sphères dans l’air et la grandeur de ces sphères, M. J.-J. Thomson est parvenu à mesurer cette charge minimum d’électricité que nous appelons électron et l’a trouvée identique dans les gaz chimiquement divers[2].

  1. Cf. plus bas. p. 217 ss.
  2. J.-J. Thomson, Electricity and Matter. New-York, 1904, p. 74 ss.