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n’est-elle pas faite pour nous étonner ? Stallo lui-même, qui est un adversaire déterminé du mécanisme, le considérant comme préjudiciable au progrès de la science, comme « un reste du réalisme du moyen-âge[1] » (opinion assez bizarre, on a pu s’en convaincre par ce que nous venons d’exposer), est cependant forcé de convenir que la théorie atomique « a tenu bon avec plus de persistance qu’aucune autre opinion de la science ou de la philosophie[2]. »

Les historiens de l’atomisme ont généralement supposé une filiation de ces doctrines. Elle n’a rien d’impossible. Si différent que soit l’atomisme de Leucippe et de Démocrite de celui de Kanada et des Jaïnas, il se peut fort bien que quelques germes des idées orientales aient pénétré à l’origine dans la philosophie hellénique[3]. Les Juifs se sont certainement inspirés des Grecs. Les Motekallemin ont pu être également influencés par des conceptions hindoues, par des écrits juifs, et aussi par les théories atomiques telles que les exposaient certains livres de médecine comme celui de Caelius Aurelianus. Enfin la renaissance moderne des théories mécaniques se rattache certainement au renouvellement des études classiques. Pourtant, cette pérennité des conceptions mécaniques a quelque chose d’étrange. Ne faut-il pas que le terrain où elles éclosent soit d’une nature particulièrement favorable, puisque des germes souvent infimes déterminent aussitôt une prodigieuse prolification ?

Enfin, nous assistons depuis plusieurs lustres à un spectacle impressionnant. La marche rapide de la science semble en ébranler jusqu’aux fondements réputés les plus solides. Et pourtant, dans ce bouleversement universel, certaines

    stériles ». Nous croyons que tout ce que l’on peut démontrer ainsi c’est que (comme on pouvait d’ailleurs s’y attendre) les longs siècles du moyen âge n’ont pas été entièrement improductifs et que la rupture à la Renaissance n’a pas été complète. Il n’en reste pas moins que l’acquis de ces dix siècles, comparativement à celui de la période de l’activité réelle de l’esprit hellénique, est infime et que cet avancement si lent a subi une merveilleuse accélération à la Renaissance, au point que la sciences moderne apparaît, selon la juste parole de M. Milhaud (Études sur la pensée scientifique chez les Grecs et chez les modernes. Paris, 1906, p. 2) comme « la suite naturelle, par delà des siècles de repos, de la science grecque elle-même ». La Renaissance demeure assurément le fait le plus considérable de l’histoire des sciences tout entière.

  1. Stallo, l. c., p. 114.
  2. Ib., p. 60.
  3. Cf. p. 75, note 2.