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malgré le bruit. « Ne vois-tu pas, me dit Apollon, que Ledesma n’est pas chez lui maintenant ; ne vois-tu pas qu’il est hors de lui-même et tout en moi ? »

À l’abri d’un myrte verdoyant était étendu Geronimo de Castro, rare et sublime génie. J’imagine qu’il chantait un motet, de sa voix suave. Et moi je demeurai surpris de le voir là, l’ayant laissé à Madrid. Apollon me comprit et dit : « Il n’était pas bon qu’un soldat tel que lui restât enseveli entre le sommeil et l’oisiveté. C’est moi-même qui l’ai transporté ici, je sais comment ; il n’y a point de puissance qui puisse prévaloir sur la mienne, je ne connais point d’obstacles. »

Cependant l’heure approchait, selon moi, de donner un aliment au pauvre estomac, surtout quand il est à jeun. Mais le dieu de Délos, qui conduit notre armée, n’eut pas même l’idée de satisfaire aux exigences de la faim. Il nous introduit d’abord dans un riche jardin, où brillent à l’envi toutes les séductions de la nature et de l’art. Celui des Hespérides n’était pas aussi beau, et les jardins suspendus de Babylone ne l’égalaient pas en beauté ni en étendue. À côté de ce jardin, ceux d’Alcinoüs, dont les louanges ont exercé des esprits bien subtils, ne sont rien. Non assujetti aux changements des saisons, il offre toute l’année un printemps invariable, et des fruits en réalité et non en espérance. Là rivalisent la nature et l’art, et l’on ne sait lequel des deux l’emporte sur l’autre. La langue la plus exercée, étrangère à l’adu-