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si vous le teniez, vous l’enverriez à la Bastille d’où il s’est échappé par miracle. Voilà les bonnes et solides raisons qu’il m’a données pour ne pas venir ici. En outre, comme je vous le disais, il est à Montmorency. Or, je suis à vous, moi ! Il en résulte que je me trouve dans la nécessité ou de vous trahir, ce qui serait abominable, ou de devenir l’ennemi de mon fils, ce qui me paraît plus impossible encore. La situation étant ainsi posée aussi nettement que je l’ai pu, je dois en tirer des conclusions franches… Ou vous m’avez engagé pour faire campagne contre le roi, ou vous avez espéré autre chose de moi. Si vous me demandez de rester dans notre traité, je demeure pour vous un compagnon loyal, fidèle, et, j’ose le dire, de quelque valeur. Si, au contraire, sous le couvert d’une lutte politique, votre dessein est de m’employer à vos guerres de famille, je m’en vais, monseigneur. Car, à aucun prix, je ne serai l’ennemi de mon fils.

Le maréchal avait écouté ces paroles avec une indicible satisfaction.

— Mais, demanda-t-il, pourquoi le jeune homme est-il contre moi ?

— Il n’est pas contre vous, il est avec Montmorency, voilà tout. Il vous en veut si peu, monseigneur, et il a si peu envie de chercher à vous nuire, qu’il va quitter Paris dès ce soir…

— Et pourquoi diable quitte-t-il Paris ?… Pardaillan, franchise pour franchise. Il est très vrai que j’ai eu un instant l’idée de le rendre à Guitalens, dont il a surpris la conversation avec moi, je veux que le diable m’écorche vif, si je sais comment ! (Le vieux routier sourit en lui-même et prit un air des plus étonnés.) Mais tel que je le vois, tel que je l’ai vu, le chevalier est incapable de trahir un secret… Son audace à pénétrer ici même, l’attitude qu’il a eue chez le roi, la façon dont il est sorti du Louvre et qu’il a dû vous raconter (Pardaillan fit un signe affirmatif), tout enfin, sans compter qu’il m’a sauvé, sans compter ce que vous venez de me dire, tout fait que je désire ardemment l’avoir parmi nous… Pardaillan, votre fils a le génie de la bravoure ; mais il est pauvre, seul, sans appui. Amenez-le moi : je l’enrichis, je le marie, j’en fais un personnage dans la prochaine cour de France…

— Vous oubliez, monseigneur, qu’en raison même de cette attitude qu’il a eue au Louvre, il est poursuivi, traqué, et qu’il lui faut quitter Paris sous peine d’être pendu.

Damville sourit :

— Dans mon hôtel, dit-il, le chevalier sera plus en sûreté que dans le château où sans aucun doute mon frère l’envoie. Dites-le lui, Pardaillan, il faut qu’il reste.

— Mais, si je ne me trompe, il doit déjà être parti. La chose pressait, monseigneur. En effet, voici ce qui nous est arrivé.

Ici, Pardaillan raconta le siège du Marteau qui cogne, récit que le maréchal écouta avec une admiration stupéfiée.

— Vous voyez, acheva le vieux routier, qu’il était temps que le chevalier quittât Paris.

— Mais alors, vous êtes tout aussi compromis que lui ! Pourquoi êtes-vous resté ?

— Parce que je vous avais promis de vous aider, monseigneur, dit simplement Pardaillan.

Le maréchal tendit sa main au vieux routier qui s’inclina, plutôt pour cacher son sourire que par respect.

Ce fut ainsi que Pardaillan père fit sa rentrée à l’hôtel de Mesmes, et grâce à sa sincérité rusée, il se trouva plus en faveur que jamais. Ce fut ainsi que les deux Pardaillan, après avoir failli se trouver sans gîte, eurent définitivement chacun un véritable palais pour demeure.


◄   XL XLII   ►

Trois jours après la scène du Louvre, ainsi qu’il l’avait annoncé à son frère, François de Montmorency se rendit à l’hôtel de Mesmes, résolu à terminer d’un coup de foudre, cette haine de dix-sept ans. Il y alla seul, simplement précédé d’une sorte de héraut d’armes.

Le chevalier de Pardaillan avait insisté vainement pour l’accompagner.

Le maréchal traversa donc Paris dans le plus simple appareil, il avait revêtu sa cuirasse de peau de daim non tannée, et ceint une épée de combat. Ce fut dans ce costume demi-guerrier qu’il alla à la recherche de son frère. Il montait un cheval tout noir, de même que son écuyer.

On a pu remarquer déjà que dans les actes extérieurs de François, il y avait toujours une sorte d’apparat, un côté de mise en scène. Et ceci demande une explication.

François ne songeait guère à étonner les passants ou à frapper l’esprit des gens par une pompe théâtrale. Simplement, il suivait les traditions. Il représentait l’antique maison féodale des Bouchard