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— Comment le savez-vous ? fit-il ardemment.

— Je le sais, monsieur, parce que si je vous ai guetté, je l’ai guettée, elle aussi ! Je le sais, parce qu’il est facile de tromper un indifférent, mais qu’il est impossible de tromper une femme…

Huguette se tut. Son sein palpita. Et ce fut son cœur qui acheva :

« De tromper une femme jalouse… une femme qui aime ! »

Pardaillan n’entendit pas ces mots puisqu ‘ils ne furent pas prononcés, mais il comprit. Une indicible émotion l’étreignit à la gorge, et, doucement, il murmura :

— Huguette, vous êtes un ange…

Et, malgré tous ses efforts, ses yeux se remplirent de larmes.

— Vous l’aimez donc bien, fit Huguette à voix basse.

Il ne répondit pas et étreignit convulsivement les mains de l’hôtesse. Celle-ci se rapprocha de lui et déposa sur son front un baiser où son âme bonne et douce, mit un monde de consolations presque maternelles.

Nous ne savons vraiment trop comment cette scène se serait terminée, si la voix de maître Landry, qui appelait sa femme d’en bas, ne se fût fait entendre.

Huguette se sauva légèrement, à demi heureuse, à demi désolée.

« Pauvre Huguette ! songea Pardaillan. Elle m’aime, et pourtant elle cherchait à me consoler en me trompant. Mais c’est fini, maintenant. Loïse ne m’aime pas, ne peut pas m’aimer. Eh bien, je ne l’aime plus ! Je redeviens libre… libre de mon cœur, de ma pensée, de mes pas… Au diable Paris !… Demain, je me mets à la recherche de mon père !… Et quant à cette lettre… cette lettre… elle arrivera à son adresse comme elle pourra !… »

En disant ces mots, Pardaillan saisit la lettre de Jeanne de Piennes, la recacheta vivement, la fourra dans son pourpoint d’un mouvement rageur et s’élança au-dehors, bien résolu à ne plus s’inquiéter de rien de ce qui concernait Loïse et sa mère et tous les Montmorency de France.

Il était à ce moment deux heures de l’après-midi.

Ce que fit Pardaillan dans cette journée, il est probable qu’il l’ignora toujours lui-même. On le vit dans deux ou trois cabarets où il était connu. Il ne prenait aucun soin de se cacher. Pourtant, sa position était effrayante. Il erra sans doute un peu au hasard de sa course, paraissant occupé parfois à s’injurier soi-même, ou tout au moins à débattre furieusement quelque importante résolution.

Vers cinq heures, il se retrouva calme, de sang-froid, maître de lui. Il regarda autour de lui, et se vit non loin de la Seine, presque en face du Louvre, devant un somptueux hôtel.

Et comme s’il eût ignoré que sa course l’avait amené là, comme s’il y fût venu malgré lui, ce fut avec colère qu’il s’écria :

— L’hôtel de Montmorency ! Je n’irai pas, certes !…

Presque en même temps, Pardaillan s’approchait de la grande porte, et furieusement heurtait le marteau !…

Note




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La veille de ce jour où le chevalier de Pardaillan sortit de la Bastille grâce à la jolie ruse qu’il avait imaginée et où, malgré sa ferme résolution, il s’était retrouvé devant l’hôtel de Montmorency, une scène importante s’était passée dans l’église Saint-Germain-l’Auxerrois.

Il était environ neuf heures du soir. Le prédicateur venait d’achever son sermon devant une foule énorme qui avait envahi la vieille basilique — foule composée en grande partie de femmes élégantes dont les riches toilettes chatoyaient dans l’ombre.

Ce prédicateur était un moine superbe, de haute taille et de grande allure.

Il portait avec une sorte de distinction théâtrale le costume noir et blanc des carmes.

On l’appelait le révérend Panigarola.

Ce moine, malgré sa jeunesse, produisait une impression d’ascétisme sévère que corrigeait fort à propos l’enthousiasme assez peu religieux qu’il soulevait chez ces belles auditrices.

Il était, d’ailleurs, d’une remarquable beauté ; il possédait l’art du geste, ce grand geste des bras levés vers les voûtes lointaines et qui s’abaissent tout à coup pour menacer ou pour bénir. Sa voix était âpre et se déchaînait parfois avec une fureur qui secouait l’auditoire.

Mais ce qu’on admirait le plus en lui, c’était la véhémence de ses attaques qui n’épargnaient pas même le roi.