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que vous étiez obligée de fuir la colère de la reine Catherine parce que vous vouliez embrasser la religion réformée… C’était il y a huit mois… je vous accueillis comme j’ai toujours accueilli les persécutés ; et comme vous étiez de bonne naissance, je vous plaçai parmi mes filles d’honneur… Depuis huit mois, avez-vous un reproche à m’adresser ? Parlez franchement, je vous l’ordonne.

— Votre Majesté m’a comblée, dit Alice en reprenant un peu de fermeté, mais puisque ma reine daigne m’interroger, qu’elle me permette à mon tour de poser une question. Ai-je donc démérité ? N’ai-je pas, depuis huit mois, accompli avec zèle tous les devoirs de ma charge ? Ai-je donné sujet à quelque médisance ? On m’appelait la Belle Béarnaise, madame ; et pourtant, malgré cette beauté qu’on voulait me reconnaître, ai-je jamais cherché à détourner quelque gentilhomme des soucis de la guerre ? Enfin, depuis ma conversion, n’ai-je pas donné à ma religion nouvelle toutes les marques d’attachement qu’on pouvait attendre d’une néophyte ?

— Je reconnais, fit la reine avec une gravité qui amena un nuage sur le front de la jeune fille, je reconnais que vous avez montré un zèle dont quelques-uns ont pu être surpris. Que vous dirai-je ? Je vous eusse préférée catholique plutôt que protestante à ce point. Quant à votre conduite vis-à-vis de mes gentilshommes, elle est irréprochable ; et là encore, j’avoue que j’eusse été moins étonnée à vous voir un peu moins… sévère ; enfin, votre service a toujours été admirable, au point que même lorsque vous n’étiez pas de service, même quand je n’avais pas besoin de vous, vous étiez toujours assez près de moi pour tout voir, sinon pour tout entendre.

Cette fois, l’accusation était si claire qu’Alice de Lux chancela.

— Oh ! Majesté, murmura-t-elle, j’ai horreur de comprendre !

Jeanne d’Albret la regarda avec une sorte de pitié.

— Il faut pourtant que vous compreniez, dit-elle enfin. Mes soupçons ne sont guère éveillés que depuis une quinzaine de jours. Je voudrais vous épargner la douleur d’avoir honte, Alice, car je vous aimais. Pourtant, il faut bien que je me sépare de vous, puisque j’ai acquis la conviction que vous me trahissez…

— Votre Majesté me chasse ! bégaya la jeune fille.

— Oui, dit simplement la reine de Navarre.

Il y eut une minute d’écrasant silence.

Alice de Lux, appuyée au dossier d’un fauteuil, jetait autour d’elle ces yeux hagards qu’ont les condamnés ; elle avait joint les mains dans un geste de supplication machinale.

Enfin un long soupir gonfla son sein sculptural, et elle parvint à prononcer quelques mots :

— Votre Majesté se trompe… je suis victime d’infâmes calomnies…

La reine de Navarre souffrait peut-être plus que la jeune fille.

Pour une âme généreuse, en effet, il n’y a pas de spectacle plus douloureux que celui de la trahison d’un être en qui on avait mis toute sa confiance. Et lorsque cet être, placé en face d’une irrémédiable honte, se débat sous le poids de l’accusation, qu’on le voit panteler et faire d’inutiles efforts pour rassembler les preuves de sa loyauté, le spectacle est certes plus affreux que celui d’un ennemi vaincu.

— Écoutez, Alice, dit Jeanne d’Albret d’une voix si triste que la jeune fille en frissonna, j’eusse pu, et peut-être j’eusse dû vous livrer à nos juges en leur apportant la preuve de votre trahison ; je n’en ai pas le courage. Je me contente de vous renvoyer à votre maîtresse, la reine Catherine…

— Votre Majesté se trompe !… murmura encore Alice avec une sorte de gémissement.

La reine de Navarre secoua la tête.

— Ce jour où j’entrai chez vous et où je vous surpris écrivant, pourquoi, Alice, avez-vous jeté votre lettre au feu, risquant ainsi de provoquer des questions que d’ailleurs je ne vous posais pas ?…

— Madame ! s’écria Alice avec l’ardeur du noyé qui sent sous ses doigts raidis un fétu de paille, madame, il faut donc que je vous avoue la vérité !… J’aime… J’écrivais à celui que j’aime !…

— C’est en effet ce que je supposai, et voilà pourquoi je me tus. Ce jour où un de mes officiers vous vit causant avec un courrier qui partait pour Paris, Alice… Le courrier s’éloigna précipitamment : il n’est plus jamais revenu. Pourquoi ?

— Je lui donnais des commissions pour des amis que j’ai à Paris, madame ! Est-ce ma faute si cet homme n’est plus revenu ? Qui sait, au surplus, s’il n’a pas été tué ?



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