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Les enfants sont vifs, espiègles, intelligents, d’une figure régulière et agréable. Leur tête est allongée, leur front large et proéminent ; leurs yeux sont grands et doux. Malheureusement cette physionomie sympathique se modifie quand ils arrivent à l’âge adulte. Vers quinze ou seize ans, à l’époque où les passions se développent, le type de race s’accentue. L’embonpoint disparaît, les pommettes deviennent extrêmement saillantes, les tempes s’excavent, le front acquiert de plus en plus une proéminence qui donne aux Pahouins un cachet tout particulier, et ne permet jamais de les confondre avec les M’Pongwés ou toute autre tribu gabonaise.

Les femmes ont aussi la tête allongée et le front saillant ; mais elles ont rarement le visage osseux et amaigri du Pahouin. Elles ont de l’embonpoint, trop peut-être, sans jamais arriver à l’obésité, infirmité à peu près inconnue aux races noires. Leur main étonne souvent par sa petitesse et la finesse de son attache. Ce qui n’empêche pas ces beautés charnues et peu vêtues d’être parfaitement laides à de rares exceptions près ; et malheureusement chez elles l’art vient bien mal en aide à la nature. Ce n’est pas qu’elles ne soient coquettes. Elles couvrent leur poitrine de colliers comme les Gabonaises, et attachent à leurs cheveux une multitude de grappes de perles blanches très-fines qui tombent sur leurs épaules ou descendent devant leurs yeux et leur fouettent le visage, parure originale et d’un bon effet. Leurs bras et leurs jambes sont garnis de bracelets en cuivre ou en fer poli qui ressemblent ordinairement à de longs ressorts à boudin. Les jeunes mères s’enlaidissent à plaisir en se barbouillant des pieds à la tête, et je ne sais trop pourquoi, avec une décoction de bois rouge. Elles portent un large baudrier tout couvert de coquilles de cauris, et dans l’anse duquel repose leur enfant à la mamelle. De vêtements proprement dits, ces dames n’en ont point, et je n’en parle que pour mémoire.

Mais elles ont l’ito, un ornement qui est bien à elles. C’est un morceau d’écorce rouge plissée qui se passe sous la ceinture, et dont l’extrémité s’étale en éventail au milieu du dos, comme la queue épanouie d’un dindon qui fait la roue. Si ce volatile existait dans le pays, on croirait volontiers qu’il a servi de modèle à l’inventeur de ce bizarre accoutrement. Cette étoffe souple et résistante, teinte en rouge avec une décoction de bois de santal, est empruntée à l’emvien, qui n’est autre chose qu’un figuier ; cet arbre qui d’après la tradition, a fourni jadis des vêtements à nos premiers pères, habille donc encore aujourd’hui des gens presque aussi voisins qu’eux de l’état de nature.

Telle était la population singulière au milieu de laquelle je me trouvais pour la première fois. Je l’ai revue fréquemment depuis, mais surtout dans les villages moins éloignés de nos établissements, où elle commence déjà à perdre son originalité. Chasseurs et guerriers, la première chose que les Pahouins empruntent aux Européens, ce sont des fusils, puis des étoffes et les oripeaux grotesques qui ont fait de tout temps le bonheur des peuples noirs. C’est dans un de ces villages pervertis en quelque sorte par notre contact que M. Houzé de l’Aulnoit a pris les types que nous présentons plus loin à nos lecteurs. Le chef dont la tête est coiffée d’un kolbach, a bien les caractères physiques de sa race, mais combien est préférable à son ridicule accoutrement la vraie tenue de guerre du Pahouin primitif !

Les armes de ce peuple ne sont pas moins caractéristiques que son costume. Habile à travailler le fer, industrie inconnue aux autres tribus, il en fait des sagayes, de grands couteaux de combat à pointe très-aiguë et d’un dessin élégant, arme qui doit être terrible entre les mains d’un homme courageux ; des couteaux plus courts destinés à divers usages ; des herminettes, des haches excellentes et d’une forme remarquable ; et enfin une arme singulière, hache ou couteau comme on voudra l’appeler, qui représente tout à fait le profil d’une tête d’oiseau emmanchée sur un cou fortement cambré ; une rainure qui divise le bec en deux parties et un trou qui représente un œil ne laissent aucun doute sur l’intention du dessinateur. M. du Chaillu dit que ce bizarre instrument se lance à distance à la tête des ennemis. J’ai entendu dire de mon côté que c’était une sorte de couteau sacrificateur destiné à immoler des victimes humaines, victimes sacrifiées non pas aux dieux d’une religion féroce, mais tout simplement à l’appétit des officiants. Un coup de pointe appliqué sur la tempe fait une blessure mortelle, et la partie courbe sert ensuite à pratiquer la décollation de la tête.

Toutes ces lames sont d’un bon travail, et bien supérieures à la plupart des sabres ou couteaux que le commerce fournit habituellement aux populations africaines. Elles sont en outre ornées de dessins gravés, de nervures et parfois même d’incrustations de cuivre qui témoignent du bon goût de l’ouvrier. L’outillage de leurs forgerons est des plus simples. Il se compose en somme de deux petites enclumes à main, l’une fichée en terre et l’autre servant de marteau ; ils chauffent le fer à un feu de bois animé par un soufflet à double courant assez ingénieux. C’est un bloc de bois de quelques centimètres de hauteur dans lequel sont pratiquées deux cavités cylindriques parallèles munies chacune à leur partie inférieure d’un tube porte vent. Chaque cavité est recouverte par une peau très-mobile à laquelle s’adapte un manche de bois. Cet opercule en s’élevant et s’abaissant successivement, aspire l’air et le rejette. Ce sont donc deux corps de pompe combinés dont le jeu alternatif donne une machine soufflante à effet continu. Ce soufflet simple et commode paraît d’ailleurs être connu de tout le continent africain, car le capitaine Speke l’a trouvé parmi les populations de la côte orientale, et le Tour du Monde en a donné un très-bon dessin (page 293, année 1864).

Mais l’arme la plus dangereuse peut-être du Pahouin et qui lui est plus spéciale que toute autre, est une arbalète avec laquelle il lance des petites flèches de bambou empoisonnées. Cette arme exige de celui qui s’en sert une grande vigueur, car il faut l’effort du corps tout