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sant et pêchant avec eux et partageant, selon l’abondance ou la disette de vivres leurs repas copieux ou leurs jeûnes érémtiques. Déjà ses vêtements tombaient en lambeaux, son corps exposé aux piqûres des moustiques s’était couvert de plaies et le découragement allait s’emparer de lui, quand des religieux d’Ocopa arrivèrent à Suaray. Leur vue lui fit oublier ses souffrances et lui rendit toute son énergie. Ces pères apportaient avec des provisions de plusieurs sortes, des instruments aratoires des semences et jusqu’à des animaux domestiques destinés à la Mission future.

À dater de ce moment les choses prirent une heureuse tournure. Des défrichements furent pratiqués ; des plantations de manioc et de bananiers faites sur divers points, assurèrent la subsistance des religieux et des néophytes. Les envois d’Ocopa se régularisèrent ; de nouveaux missionnaires vinrent se joindre à ceux de Manoa pour travailler avec eux à l’œuvre commune. En sept ans, sept Missions furent fondées sur la rivière Ucayali, entre l’embouchure du Pachitea et la sierra de Cuntamana. Tout semblait leur présager un avenir durable lorsqu’un Indien Sipibo du nom de Rungato, dont nous avons eu l’occasion de parler[1], alla de Mission en Mission souffler la discorde au cœur des néophytes et provoquer de leur part le soulèvement qui amena la destruction des villages chrétiens de l’Ucayali et le massacre de tous les missionnaires. D’après des on dit de l’époque, ce Sipibo Rungato entretenait des relations coupables avec Ana Rosa. L’indigne élève des missionnaires avertie à l’avance du complot tramé contre ses bienfaiteurs, se garda de les en instruire et les laissa froidement massacrer. Cette insensibilité de sa part et la vengeance exercée contre les religieux, eurent pour cause, dit-on encore, le châtiment corporel infligé par l’un d’eux à l’Indien Rungato pour une faute dont celui-ci s’était rendu coupable.

Au réfectoire.

Vingt-deux ans après cette catastrophe, en 1790, le père Manuel Sobreviela, gardien du collége d’Ocopa, ayant tenté de relever de leurs ruines les Missions de l’Ucayali, comme nous l’avons dit dans notre notice sur les Sipibos et les Schetibos, s’introduisit dans la plaine du Sacrement en suivant le cours du Huallaga jusqu’au village de la Grande Lagune. Là il débarqua, et prenant à travers forêts, il atteignit Sarayacu[2] où les Panos,

  1. Voy. notre étude sur les Indiens Panos.
  2. Cet itinéraire, qui allonge de cent quatre-vingts lieues le chemin qu’on suit habituellement pour passer des rives du Huallaga à Sarayacu, en prenant par Yanayacu, Chasuta et Santa Catalina, avait été imposé au P. Sobreviela par sa qualité de gardien du collége d’Ocopa qui l’obligeait à visiter les Missions de Maynas, lesquelles, après avoir appartenu longtemps aux Jésuites de Quito, se trouvaient comprises, depuis l’expulsion de ceux-ci, dans la juridiction ecclésiastique d’Ocopa.