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ces dernières années ont cherché. Leur préoccupation principale, comme aussi leur principal intérêt, est de trouver, dans les espaces inexplorés de l’intérieur, des pacages où les colons puissent étendre et multiplier l’élevage de leurs troupeaux. Le surplus, c’est-à-dire l’extension des notions géographiques et des sciences qui s’y rapportent, est une affaire accessoire et de second rang.

Si maintenant nous tournons les yeux vers les pays que la politique ou les armes ont, dans ces derniers temps, ouverts à l’investigation européenne ; si nous demandons ce que les événements nous ont valu de connaissances nouvelles sur la Chine, sur les pays d’Annam, sur le Japon, sur le Mexique, — pour cette fois il nous faudra répondre : Rien, ou peu de chose. Nous en sommes encore à la période des promesses et des espérances. Mais le temps marche, notre activité est en éveil, et sûrement les espérances seront réalisées, dépassées peut-être. L’intérieur de la Chine, — tout un monde à conquérir pour nos explorateurs, — ne sera pas toujours livré aux horreurs de la guerre intestine ; et avec la Chine s’ouvriront pour nous les portes des contrées centrales de la haute Asie. Au Japon, la course littorale dont un consul anglais, Rutherford Alcock, a publié l’intéressante relation, et les communications d’un de nos compatriotes, M. Robert Lindau, nous donnent un avant-goût de ce que seraient pour notre instruction des voyages à l’intérieur. C’est au Mexique surtout que le champ est large et que la moisson sera belle. Il y a là à réaliser d’immenses conquêtes scientifiques, en même temps qu’une grande régénération sociale. Même après les travaux d’Alex. de Humboldt, après les publications précieuses de Ternaux Compans et l’ouvrage historique de Brasseur de Bourbourg, il y a là encore, dans ce pays si longtemps fermé aux recherches savantes, des investigations à poursuivre dans les archives publiques, des études à reprendre sur les constructions gigantesques dont les anciennes races ont couvert le sol depuis le centre de l’isthme jusqu’au fond de la Californie, sur l’écriture idéographique des Azteks, sur les idiomes encore vivants des Indiens et sur les Indiens eux-mêmes, sur les rapports de ces langues entre elles et avec celles des populations du sud, et sur bien d’autres questions qui touchent aux vieux temps du Mexique en même temps qu’aux origines américaines. L’histoire, l’archéologie, la linguistique, l’ethnologie, réservent à nos investigateurs une foule de problèmes à scruter, sinon à résoudre, sans parler des questions économiques sur lesquelles repose l’avenir du pays, et de la topographie si imparfaite encore qui appelle toute l’activité de nos ingénieurs. La tâche est vaste, mais il sera glorieux de l’avoir remplie. Notre présence dans ce pays régénéré doit être marquée par un monument scientifique comparable ou supérieur à celui qui a enfanté, il y a soixante-cinq ans, notre expédition d’Égypte.

Le temps, ai-je dit, n’est pas venu encore où les nouveaux rapports de commerce ou de guerre avec l’extrême Orient et l’Amérique aient pu ajouter notablement à la somme de nos informations scientifiques ; quelque exception, cependant, pourrait être faite pour l’Indo-Chine. Les reconnaissances de nos officiers de marine dans notre récente colonie de Cochinchine sont une bonne acquisition pour la géographie positive. Le vice-amiral Bonnard, au mois de septembre 1862, remonta le grand fleuve du Kambodje jusqu’à cent vingt lieues de ses embouchures ; et près d’un large lac que le fleuve traverse à cette distance il put contempler les magnifiques ruines de l’ancienne cité d’Ongkor[1], restes d’un établissement bouddhique dont les Siamois ne parlent qu’avec admiration comme de l’ouvrage des génies. Les constructions d’Ongkor ont une grande analogie avec les monuments bouddhiques de l’île de Java ; elles sont, comme ceux-ci, l’œuvre d’une civilisation importée. L’époque n’en est indiquée par aucune donnée précise ; mais il est bien probable qu’elles doivent appartenir à la période de la grande prospérité du bouddhisme de l’Inde, qui fut aussi le temps de la grande propagation extérieure du culte de Çãkyamouni, ce qui nous conduit au troisième ou au deuxième siècle avant l’ère chrétienne. Les statues colossales du Bouddha taillées dans les rochers d’Ongkor ont une frappante analogie avec les colosses bouddhiques de Bamyân, dans l’Asie centrale, qui remontent incontestablement à des temps voisins de notre ère. Deux ans avant la visite de l’amiral Bonnard, le site d’Ongkor avait été vu et décrit par un voyageur français, M. Mouhot, dont le Tour du Monde a publié la relation. M. Mouhot voyageait surtout en naturaliste, et ses collections, que la mort a interrompues, sont d’une extrême richesse ; mais il savait aussi voir et décrire ce qu’un pays peu connu offre de curieux à l’observateur. Nos lecteurs ont pu juger de l’intérêt de ses journaux en même temps que de la beauté des dessins dont il avait formé un riche portefeuille. Ses courses dans le Kambodje et les provinces de Siam ne présentent pas un développement de moins de huit cents lieues dans l’espace de trois années ; c’est, au total, un des voyages les plus importants et les plus instructifs que possède aujourd’hui l’Europe sur la péninsule indochinoise.

J’avais inscrit dans mon programme quelques-uns des travaux dont notre propre sol est l’objet ; j’aurais voulu signaler les publications déjà nombreuses qui promettent à la France, si le zèle de nos provinces se soutient, les matériaux d’un beau monument géographique. L’espace me manque aujourd’hui ; mais ce n’est qu’une occasion remise.

Vivien de Saint-Martin.


FIN DU HUITIÈME VOLUME.
  1. Nokhor, selon M. Pallegoix.