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sinie (les Agaô), celle de la Nubie et de la moyenne vallée du Nil (les Bodjas, les Ababdèh, les Barâbras, etc.), et enfin cette grande famille berbère de la Libye orientale et de l’Atlas, dont les Foulahs du haut Sénégal et de la Nigritie sont à leur tour une ramification secondaire, plus ou moins altérée par le sang éthiopien. Les Gallas, en un mot, sont, à l’orient, le dernier chaînon d’un immense développement de populations blanches qui couvre tout le nord de l’Afrique, et que le grand désert d’un côté, de l’autre l’équateur (il ne faut pas tracer de lignes trop rigoureuses) séparent du domaine propre des populations noires. Il y a en tout ceci de nombreux et difficiles problèmes, — en ce qui touche aux origines des peuples, tout est obscur et difficile — réservés aux études à peine entamées de l’ethnologie africaine.


VI


Je ne sais si l’attention du capitaine Speke s’est arrêtée sur quelques-unes de ces questions, bien que le voyage antérieur qu’il avait fait chez les Somal (en 1854) ait pu lui suggérer plus d’un sujet de comparaison entre des peuplades de même origine placées dans des conditions différentes. Dans tous les cas, le capitaine nous apprend qu’il a profité de sa longue résidence chez les populations voisines du Nyanza pour recueillir et mettre par écrit ce qu’elles possèdent de traditions sur leur histoire antérieure, et il est impossible qu’il ne sorte pas de cette recherche des informations dignes d’intérêt. Mais c’était surtout vers les questions de géographie physique, objet essentiel de son entreprise, que l’attention du voyageur restait fixée. Il avait voulu, je l’ai déjà dit, suivre sans le perdre de vue le courant principal où se déversent les eaux du lac. L’expédition, en effet, le côtoya jusqu’à deux degrés, ou cent vingt milles, à partir du lac, en se portant, à ce qu’il semble, directement au nord ; mais à ce point la rivière fait un grand coude à l’ouest, pour aller (d’après les informations indigènes) se jeter dans le lac appelé Louti-Nzighi, d’où elle ressort par l’extrémité opposée. Des raisons qu’on ne nous apprend pas empêchèrent les voyageurs de suivre ce contour du fleuve ; il leur fallut le perdre de vue sur leur gauche et couper droit par la corde de l’arc. Une marche de soixante et quelques milles les amena aux environs du troisième degré de latitude nord ; là ils rejoignirent un courant aussi considérable que celui qu’ils avaient quitté, et qu’on leur assura être le même, ce qui paraît, en effet, bien probable.

Cette rivière qu’ils venaient de rejoindre était le fleuve Blanc ! Le but du capitaine Speke était atteint et son entreprise accomplie. Il avait traversé les contrées inconnues de la zone équatoriale et relié les explorations européennes de l’Afrique australe à celles du haut bassin du Nil. Il avait réalisé le premier la pensée des siècles : il avait vu la terre mystérieuse où le fleuve sacré cache ses sources !

On peut deviner les émotions du voyageur, lorsque, sous le troisième degré quarante-cinq minutes de latitude il se trouva tout à coup devant un établissement européen. Cette station était celle d’un trafiquant d’ivoire, un Italien, M. Andréa de Bono, celui-là même dont le Tour du Monde a publié l’année dernière une intéressante relation[1]. La station n’était alors occupée que par un corps de Turcs, des traitants d’ivoire également, qui firent aux voyageurs l’accueil le plus cordial. Au bout de trois ou quatre jours, on leva le camp pour gagner Gondokoro, situé à quelques marches plus bas sur le fleuve, et nos voyageurs, avec leur suite, se joignirent à la caravane. Elle atteignit Gondokoro le 15 février dernier. Une nouvelle joie y attendait Speke et son compagnon ; ils trouvèrent là un de leurs compatriotes, M. Baker, qui précisément avait entrepris de se porter à tout hasard à leur rencontre, ou, dans tous les cas, de tenter par le nord la traversée que l’expédition de Speke devait faire par le sud. M. Samuel Baker est un de ces caractères entreprenants comme en a tant produit l’Angleterre, qui est leur patrie naturelle, avides d’aventures, passionnés pour les poursuites imprévues, toujours prêts à se jeter partout où il y a des difficultés et de l’inconnu, partout aussi où l’on peut espérer des chasses qui sortent de la mesure commune. M. Baker, qui a longtemps vécu à Ceylan et qui en a publié deux relations attachantes, est d’ailleurs plus qu’un coureur vulgaire de chasses et d’aventures ;

  1. On peut voir notre Année géographique, déjà citée, pages 19 et 23.