Fragment d’un voyage au Saubat

FRAGMENT D’UN VOYAGE AU SAUBAT

(AFFLUENT DU NIL BLANC)
PAR M. ANDREA DEBONO[1].
1855


…Le 23 décembre 1854, je quittai Khartoum avec une duhabié et un sandal montés par soixante-sept personnes, pour tenter la fortune au Saubat, jusqu’alors à peu près inconnu. J’arrivai le 1er  janvier, après une navigation absolument dépourvue d’incidents, à l’embouchure de cette rivière. Le vent était favorable, mais le Saubat fait tant de détours qu’il me fallut plusieurs fois marcher à la cordelle. Nous voyageâmes toute la huit, et le 2 à midi j’atteignais l’établissement que j’avais formé l’année précédente, et où m’attendait mon agent, M. Terranova. Après avoir réglé en cet endroit mes affaires commerciales, je repartis le 4, et naviguai trois jours dans les mêmes conditions que j’ai dites en commençant, tantôt à la voile, tantôt à la cordelle. Les villages des Dinkas, qu’on ne voit pas à l’entrée du fleuve, parce que les marais empêchent les noirs d’habiter sur cette partie du Saubat, commencèrent le 4 et les jours suivants à se montrer sur la droite.

Dernier établissement égyptien dans le Fazogl. — Dessin de Lancelot d’après Russegger.

Le 8, les villages dinkas disparurent pour faire place à ceux des Schelouks, peuples qu’il ne faut pas confondre avec ceux qui habitent sur le fleuve Blanc. Ceux du Saubat obéissent à un sultan qui demeure dans la tribu même : ils ont des cases en paille et des pirogues faites d’un seul tronc d’arbre, qui leur servent, lors des incursions de leurs terribles voisins les Nouers, à se sauver sur le fleuve avec leurs familles et leur mobilier, tant que dure la razzia.

Le 10, les nombreux détours du fleuve, qui avaient presque cessé depuis deux jours, recommencèrent à ralentir notre navigation. Le lendemain, je trouvai sur la rive gauche un grand rassemblement de Nouers, et comme j’entrai en relation avec eux pour un achat de bétail, ils me proposèrent de me réunir à eux pour écraser toutes les autres tribus du Saubat, leur enlever leurs enfants et leurs troupeaux, et partager les profits. Ils prétendaient former une masse de cinquante mille guerriers, et ajoutaient qu’ils pouvaient sextupler ce nombre, sans compter les femmes et les enfants qui les suivent toujours à la guerre, suivant l’usage du pays. Il est vrai qu’alors le vaincu perd non-seulement la bataille, mais encore sa famille et son bétail. Sans discuter leurs exagérations, je leur répondis que je n’étais pas venu au Saubat pour faire la guerre, mais pour acheter de l’ivoire ; et me voyant résolu à refuser leur étrange proposition, ils se bornèrent à me demander ma neutralité dans la guerre qu’ils allaient faire aux Schelouks, ce que je leur promis aisément. Ils étaient persuadés qu’avec le secours d’une troupe d’hommes armés de fusil ils seraient invincibles.

Contrée des Schelouks sur le Saubat. — Dessin de Lancelot d’après Russegger.

Nous continuâmes à voyager sans autres incidents, le cours du fleuve continuant à être sinueux. Le 15, le chef d’un village ou je m’arrêtai pour acheter une dent d’éléphant me dit qu’un des hommes du sandal, que j’avais envoyé en avant, avait tué involontairement d’un coup de feu un de ses hommes, et il me pria de donner quelques verroteries au père du défunt, qu’il me présenta. Cet homme me parut médiocrement affligé, et je soupçonnai une fraude, d’autant plus qu’une femme dit à mon drogman que le défunt avait été frappé par les Nouers, et non par mes hommes. Je donnai cependant les verroteries demandées, et le soir, ayant rejoint le sandal, je pris des informations qui me convainquirent que la réclamation était fondée. La femme qui avait dit le contraire avait probablement obéi a un sentiment de jalousie.

15 janvier. — Arrivée chez le Djak ou chef de la tribu ; il me fit présent d’une dent d’éléphant du poids de vingt livres, et d’une peau de tigre. Pour ne pas demeurer en reste de politesse, je lui donnai sur-le-champ un habillement complet, c’est-à-dire une chemise, un tarbouch et une paire de chaussures. Je restai quelques jours chez ce chef, qui me pria instamment de lui laisser un poste permanent pour le protéger contre les Nouers. Je lui promis de satisfaire à son vœu lorsque je repasserais en cet endroit, à mon retour, mais j’ajoutai qu’en ce moment j’avais besoin de tout mon monde pour aller en avant. Il m’en dissuada en me disant que plus loin je risquerais de trouver le fleuve à sec ; mais, comme je savais le penchant des noirs à mentir à tout propos, je n’en crus rien, et l’on verra plus loin si j’eus raison.

19 janvier. — Départ après midi, avec la dahabie, pour me rendre chez le vieux sultan des Schelouks. Le soir, je laisse à gauche le premier affluent du fleuve, nommé Nùol Dei.

20 janvier. — Nous continuons à marcher tout le jour par un bon vent, en laissant à droite les Nouers, à gauche les villages des Schelouks. Le bras du fleuve appelé Djibba reste sur notre droite. Le lendemain, à onze heures, nous rencontrons le troisième bras, nommé Nikana, et une heure plus loin un village, où nous nous arrêtons un instant pour faire nos achats.

22 janvier. — Nous arrivons chez le vieux sultan Luol Anian, et je trouve le sandal, que j’avais envoyé en avant. Ce n’est que le jour suivant que je puis voir le roi : vers midi, il arrive près de la barque portant à la main une branche verte et suivi de beaucoup de ses gens. Il ne se prête qu’avec défiance à entrer dans la dahabié, n’ayant jamais vu jusque-là de barques de cette espèce. Ici, comme chez le Djak, le chef échangea avec moi quelques présents et me demanda de l’aider contre les Nouers qui faisaient des razzias terribles sur son territoire, enlevant les bœufs et massacrant tout ce qui était capable de porter une lance. J’éludai sa demande, et il me répéta ce qui m’avait déjà été dit de la prochaine baisse des eaux. Mais d’une part il y avait plus de dix pieds d’eau à l’endroit où je me trouvais, et il me semblait impossible qu’un pareil fleuve pût se dessécher tout à coup ; d’autre part, je voulais arriver aux montagnes des Berris, qui, selon mon estimation, ne devaient pas être fort loin. Je savais qu’en 1852 le missionnaire D. Angelo Vinco y était allé de Bélénia, et rapportait avoir passé un fleuve étroit et profond, qui ne pouvait être que le Saubat ; et ce fut cette idée fixe d’aller chez les Berris qui me décida à partir sans retard.

26 janvier. — Arrivée chez le second sultan, nommé Adam Adaboukadj. Je m’y arrête deux jours, nous échangeons les présents d”usage, et le 28, je continue ma route. Je passe devant un bras du fleuve qui va rejoindre le Nikana ; le lendemain, je me trouve en face de deux autres bras considérables, remontant l’un vers les Djebbas, l’autre dans la direction des Bondjaks. Je suis ce dernier.

1er  février. — À peine arrivé dans le Bondjak, je rencontrai successivement plusieurs écluses faites par les noirs en travers de la rivière, et garnies de nasses pour prendre le poisson. L’eau avait, dans cette partie, six à sept brasses de profondeur. Les noirs essayèrent de me détourner de franchir les écluses, en me disant qu’avant un mois je me trouverais à sec dans ce canal ; mais leur intérêt était trop évident pour me permettre de croire à leur dire. J’aurais voulu éviter de détruire les travaux de ces braves gens : cependant j’avais besoin de passer à tout prix ; je fis donc faire à la première écluse une ouverture suffisante pour donner passage aux deux barques et rien de plus, et je la franchis, poursuivi par les clameurs des noirs, qui s’empressèrent de rétablir la clôture derrière nous.

Les écluses suivantes furent franchies de même. Nous naviguâmes ainsi du 1er  au 9 février, et à cette dernière date nous atteignîmes les derniers villages des Bondjaks, au delà desquels j’appris qu’il n’y avait plus d’habitations sur le fleuve. J’ouvris des relations avec les chefs de la tribu, et en même temps je fis demander l’autorisation d’envoyer un agent au sultan des Bondjaks, qui demeurait dans l’intérieur, au village de Nikana. Je passai plusieurs jours au même lieu dans une inaction forcée.

1er  mars. — Je reçois un chef qui me dit : « Entre nous autres rois, on se fait des présents et non des achats. » Et il m’offrit en effet quelques présents, que je rendis généreusement. Il m’apportait en outre une réponse affirmative à ma demande, et je fis immédiatement choix des gens qui devaient accompagner à Nikana mon agent Terranova.

Mon « ambassadeur » et sa suite se mirent en route au matin, traversèrent plusieurs villages, et le soir ils arrivèrent au village royal. Le sultan leur assigna immédiatement un terrain pour planter leur camp, et fit défense à tous ses sujets d’aller voir les étrangers avant qu’il ne leur eût fait lui-même sa visite. Ils n’en furent pas moins assiégés par des curieux qui n’avaient jamais vu de blancs, et qui exprimaient par leurs gestes à quel point la couleur et le costume des nouveaux venus leur paraissaient étranges et même ridicules ; mais le roi, informé de cette curiosité indiscrète, en punit les auteurs par la perte de tous leurs bestiaux.

Au matin, le sultan fit envoyer à Terranova et à ses gens une grande jarre de lait et un bœuf pour leur nourriture, et fit tendre de peaux de panthères tout l’espace compris entre la tente de mes hommes et sa case royale. Puis il arriva avec une suite de deux cents hommes, dont quelques-uns portaient des siéges pour son usage ; il s’assit en appuyant ses deux pieds sur deux de ses chefs couchés à terre, et leur cracha à la figure. Bien loin de s’offenser, les deux siéges vivants se frottèrent respectueusement toute la figure avec le royal cosmétique ; puis l’autocrate daigna demander à mon agent par quel motif il avait quitté son pays pour venir jusque chez les Bondjaks. Terranova lui répondit qu’il n’avait eu d’autre intention que de venir faire le commerce avec sa tribu. « Les sultans font des présents et pas de commerce », répondit le roi, comme l’avait déjà fait son subordonné les jours précédents ; et il accompagna cette fière parole du don de deux fort belles dents d’éléphant, en retour desquelles Terranova lui fit quelques cadeaux. Mon agent crut l’occasion favorable pour lui demander l’autorisation d’établir dans le village un poste fixe pour le commerce de l’ivoire ; le roi lui dit que cette denrée manquerait jusqu’à la saison prochaine, et lui fit comprendre qu’il ne tenait nullement à avoir près de lui un établissement permanent de ce genre.

1er  avril. — J’essaye de sortir de l’espèce de prison où la baisse des eaux m’a enfermé ; mais à peine avons-nous commencé à marcher que nous touchons à un banc de sable. La barque, remise à flot avec beaucoup de peine, touche une seconde, puis une troisième fois ; nous sommes forcés de passer la nuit à l’endroit où nous sommes restés ensablés.

Le lendemain 2, grands débats avec les noirs que j’ai réunis pour dégager les barques ; ils demandent à être payés d’avance. L’arrivée d’un chef envoyé par le sultan complique encore les difficultés : ce digne homme va trouver un des chefs réunis en face de nous et l’engage à tomber avec tous ses hommes sur ma troupe pendant qu’elle est dans l’eau, occupée à dégager la barque, lui promettant une victoire facile et de gros profits. Le chef, loin d’écouter ce conseil de brigand, en avertit notre drogman ; je fais aussitôt mettre mon monde sous les armes, et pointer ostensiblement un canon chargé à mitraille pour effrayer les groupes, qui, en effet, se reculent un peu, et j’obtiens pour ce jour un peu de tranquillité.

3 avril. — Les noirs, en tenue de guerre, continuent à s’attrouper autour des barques. Je ne voulais nullement ouvrir le feu contre eux, mais d’autre part il m’importait beaucoup de les intimider. Voici le parti auquel je m’arrêtai : je leur fis dire que j’étais venu pour faire le commerce et nullement pour me battre, mais que j’avais des armes à feu plus redoutables que leurs lances, car elles perçaient leurs boucliers ; et pour en donner la preuve, je fis poser deux boucliers l’un sur l’autre, et je fis tirer un coup de fusil. La balle les traversa tous deux. Je pus constater avec plaisir que cet avertissement leur inspirait des réflexions salutaires, et je n’eus plus à craindre de trahison. Je maintins cependant bonne garde toutes les nuits ; mon agent et moi nous faisions nous-mêmes le quart pour empêcher nos Barbarins de s’endormir, car, musulmans et par conséquent fatalistes, ces gens ne prennent aucune précaution et laissent tout aller, comme ils le disent, « à la garde de Dieu. »

Nous perdîmes en ce lieu plusieurs jours, et ce fut seulement le 8 que je pus faire exécuter, par nos hommes et par les noirs payés à grand renfort de verroteries, un barrage à travers la rivière pour maintenir nos barques à flot. Voici l’opération que j’exécutai, et dont je donne ici le détail pour ne pas avoir à y revenir. Mon dessein était d’arriver, de quelque manière que ce fût, au point de la rivière où les eaux étaient encore assez hautes pour me permettre de passer. Pour cela, je m’imaginai de faire un premier barrage, puis un second au-dessous, et de rompre ensuite le premier pour faire passer par la brèche mes deux barques au courant de l’eau. Du second barrage, je passai à un troisième, et ainsi de suite, comme à travers autant d’écluses. Un travail aussi colossal m’eût été impossible et exécuter dans tout autre pays ; mais à cette époque la verroterie n’était pas encore aussi dépréciée parmi les noirs qu’elle l’est aujourd’hui ; il ne m’en coûta qu’un certain nombre de caisses de cette denrée, ce qui ne laissa pas que d’être encore extrêmement ruineux pour moi. En outre, tant de dépenses et d’efforts furent en pure perte.

9 avril. — La solitude s’est faite autour de nos barques : je ne vois plus à peu près personne. Je ne tarde pas à en apprendre la cause. Les Nouers ont exécuté une razzia sur les Bondjaks, et leur ont enlevé du bétail ; à l’approche de ces terribles ennemis, les Bondjaks se sont retirés sans essayer de résistance. Ces Nouers sont la terreur de tous les riverains du fleuve Blanc, même des Schelouks, et il suffit de deux Nouers pour mettre en fuite la population d’un village tout entier.

12 avril. — Première pluie attendue avec bien de l’impatience : les eaux montent d’une demi-brasse, mais cette hausse ne se soutient pas, les eaux redescendent, et j’en suis pour ma fausse espérance. Les jours suivants se passent dans les mêmes alternatives.

Le 1er  mai, je me décide à aller à la découverte ; je remonte le fleuve par terre, et au bout d’une demi-heure je trouve un lit parfaitement à sec : le peu d’eau qui fait flotter mes barques n’est retenu que par mon dernier barrage. Je visite nos magasins : nous n’avons de vivres que pour un mois, et nul espoir de sortir de cette impasse avant bien longtemps !

Tel est, en définitive, l’aspect réel du Saubat, de ce fleuve que l’Allemand Russegger, voyageur exact et consciencieux pourtant, a confondu avec le vrai Nil Blanc, et que des géographes encore plus récents regardent comme le cours inférieur du Godjob de l’Énaréa. Il est difficile de concevoir comment ce dernier fleuve, qui roule déjà dans ses montagnes natales une plus grande masse d’eau que le Nil d’Abyssinie, pourrait, après avoir recueilli les tributs que doivent lui verser les hautes régions de Singiro et de Kaffa, devenir, dans les plaines des Schelouks, ce chenal épuisé où mes embarcations sont restées engravées tant de mois !

4 mai. — J’ai reçu une visite inattendue, celle du chef qui, le mois précédent, avait conseillé à ses compatriotes de m’attaquer et de piller mes barques. Il arriva sans armes, dans une barque montée par trois hommes seulement, Je prenais mon repas quand il se présenta, et j’affectai de ne faire aucune attention à lui. Cette réception inaccoutumée l’inquiéta : je le vis changer de couleur, son visage passant du noir à une teinte plombée. Quand j’eus fini, je me tournai vers lui en demandant au drogman ce que pouvait vouloir cet homme. Il prit alors la parole pour me dire qu’il était venu se justifier de certains mauvais bruits et notamment des intentions qui lui avaient été imputées d’avoir voulu me faire la guerre. Je lui répondis que je ne voulais pas entendre parler de semblable chose, que je ne craignais pas la guerre, mais que j’étais venu pour trafiquer paisiblement, et pour lui prouver qu’il n’était pas de taille à m’effrayer, je fis tirer un de mes canons chargé d’une pièce de bois en guise de boulet. Les noirs ayant ramassé ce projectile, que l’explosion avait lancé fort loin, j’interpellai le chef et lui demandai si les lances de ses hommes portaient à pareille distance. Son attitude me prouva qu’il avait compris la leçon et en profiterait.

Bélénia, village berri sur le fleuve Blanc. — Dessin de Lancelot d’après Werne.

Il entreprit une longue justification pour me persuader qu’il était resté étranger à un complot tramé par les autres chefs, qu’il révéla à mon drogman, et qui consistait tout simplement à tomber sur nous durant la saison des pluies, lorsque l’humidité empêcherait nos terribles fusils de faire feu, et à nous massacrer sans danger. (Pour parer à ce péril, je fis soigneusement envelopper de peaux les batteries de nos fusils pendant que durèrent les pluies.)

Mon conspirateur avait été trahi de la façon la plus inattendue. Une esclave dinka qu’il avait s’était empressée de tout révéler à mon drogman ; c’était le roi lui-même qui avait donné l’ordre de tomber sur nous, de nous égorger tous, sans excepter Terranova, son hôte ; de brûler nos corps et d’en jeter les cendres au vent ; « afin que nos cadavres ne restassent pas dans sa terre. » Sachant que ces noirs croient à la sorcellerie, je lui déclarai que je savais tout cela par des moyens magiques, et que je voulais bien lui pardonner ses perfidies passées, mais qu’il eût à y regarder à deux fois si, à l’avenir, il s’avisait encore de conspirer contre moi. Il me fit, pour me rassurer, le serment le plus solennel en usage chez ces peuples, « sur la race de ses bœufs, » et nous nous séparâmes assez bons amis pour la forme…

Andrea Debono.



  1. « Je vous envoie le fragment d’un voyage sur le Saubat (affluent de droite du Nil Blanc) ; par M. Andrea Debono, négociant maltais établi à Khartoum pour la traite de l’ivoire. Il y a deux ans, les Annales des Voyages ont publié une relation de ce voyage écrite par M. Terranova, agent de M. Debono : mais vous pourrez voir, en comparant les deux relations, que le genre d’intérêt qu’elles offrent est tout à fait différent.

    Je regrette de ne pouvoir vous envoyer le journal entier de M. Debono, quoique je l’aie entre les mains : l’ensemble présente un caractère très-curieux et très-dramatique. M. Debono, surpris par la baisse subite des eaux et emprisonné par ce contre-temps, pendant onze mois, parmi des tribus peu sûres, harcelé et attaqué par les noirs, a failli plusieurs fois périr avec la jeune femme et l’enfant qui partageaient sa vie aventureuse. Sa relation, que j’ai dû abréger beaucoup en la traduisant, est proprement un journal de commerce écrit au jour le jour, et sans prétention à la publicité ; il offre par cela même une haute garantie de sincérité et d’exactitude.

    Le Saubat, sur lequel tous les géographes ont jusqu’ici adopté l’hypothèse qui l’identifie avec le fleuve d’Enaréa (S. d’Abyssinie), est le moins connu des grands affluents du fleuve Blanc. Tous les renseignements que j’ai pu avoir sur ce grand cours d’eau me confirment dans une pensée : c’est qu’il a sa source fort loin au sud-sud-est, qu’il reçoit une grande partie de ses eaux d’un ou deux canaux de dérivation du fleuve Blanc, et qu’il n’a aucun rapport avec le fleuve précité d’Enaréa, que je regarde, jusqu’à preuve du contraire, comme se rendant dans la mer des Indes sous les noms de Djouba (Ouebi Sidama, Jub, etc.). »

    Khartoum, août 1860. G. Lejean.