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parfaits et ne peuvent tisser que des bandes de vingt centimètres de largeur, qu’ils cousent ensuite les unes aux autres pour confectionner leurs pagnes. Le roi nous fit présent de quelques pièces de ces tissus, et je puis constater encore aujourd’hui qu’ils sont d’une qualité surprenante, tant sous le rapport de la solidité que sous celui de la teinture ; aussi sont-ils réservés pour les grands et les riches. Les tisserands dahoméens n’emploient guère que deux couleurs : le bleu et le rouge. L’indigotier, plante assez commune au Dahomey, leur fournit la première, et ils obtiennent la seconde en pilant, laissant macérer et traitant ensuite par l’eau bouillante la tige du mil.

Le fer et le cuivre sont très-rares au Dahomey ; on les emploie presque exclusivement pour les armes blanches : sabres, couteaux, sagaies, etc., dont la fabrication est un monopole royal. Ces métaux, fournis par les comptoirs, sont de qualité très-inférieure ; de plus, comme les ouvriers dahomyens ignorent l’art de la trempe, leurs armes sont très-mauvaises. Ceux qui travaillent les métaux précieux font preuve de plus d’habileté, souvent même d’assez de goût dans le dessin et l’ornementation des bijoux, tels que les colliers, les grisgris et surtout les bracelets d’argent, portés par les cabéceirs comme insigne de leur dignité. Ils se procurent l’or par le lavage des sables aurifères de certaines rivières qui descendent du versant méridional des monts de Kong, et vont alimenter, après avoir traversé le haut Dahomey, les vastes lagunes qui baignent le sud de ce pays. Quant à l’argent, au dire même du roi Ghézo, les monts de Kong en contiennent des mines fort riches, d’où les nègres le retirent en traitant le minerai (probablement un sulfure) par le grillage et des fusions répétées. Je ne voudrais pourtant pas garantir la véracité de cette assertion, car les noirs faisaient alors, comme pour la poudre d’or, commerce d’argent, tandis qu’ils n’en apportent jamais aux comptoirs.

L’écriture et les chiffres paraissent être inconnus au Dahomey. Les beaux-arts, l’architecture, le dessin, la sculpture et la musique y sont peu florissants. Les dessins et les peintures que je n’ai vus appliqués qu’à la décoration des murailles du temple des sacrifices, à Cana (p. 80), prouvent surabondamment que les artistes dahomyens n’ont pas l’idée de la perspective. Ce que j’ai vu de mieux réussi en dessin, ce sont les broderies exécutées avec une espèce de soie végétale du pays, à reflets chatoyants d’un joli effet, qui décorent les étendards de l’armée et les bonnets des amazones. Les Dahomyens réussiraient peut-être mieux en sculpture : les tabourets témoignent de quelque goût et d’une certaine habileté de main.

Quant à la poésie, je n’en ai trouvé d’autres traces que les chants de triomphe par lesquels les Dahomyens célébraient leur victoire simulée le jour de la fête d’Abomey et les improvisations en notre honneur que chantèrent les femmes du roi. Ces productions, sans originalité, sont empreintes du caractère emphatique qui distingue les œuvres d’imagination des peuples primitifs.

Du reste la langue dahomyenne est très-pauvre ; elle n’a de mots que pour exprimer les besoins ordinaires de la vie et désigner les objets qui tombent sous l’appréciation de nos sens. Elle n’a pas d’expression pour traduire les idées abstraites, sans doute parce que ces idées n’ont pas encore pris naissance dans le cerveau des Dahomyens.

Répin.




DOCUMENTS COMPLÉMENTAIRES ET POSTÉRIEURS AU VOYAGE DE M. RÉPIN.


I

Funérailles, tombe et cercueil des rois. — La grande coutume funèbre et l’inauguration du nouveau souverain, etc., etc.

C’est à Abomey que se trouve le tombeau des rois, vaste souterrain creusé de main d’homme.

Quand un roi meurt, on lui érige, au centre de ce caveau, une espèce de cénotaphe entouré de barres de fer et surmonté d’un cercueil en terre cimentée du sang d’une centaine de captifs provenant des dernières guerres et sacrifiés pour servir de gardes au souverain dans l’autre monde. Le corps du monarque est déposé dans ce cercueil, la tête reposant sur les crânes des rois vaincus ; enfin, comme autant de reliques de la royauté défunte, on dépose au pied du cénotaphe tout ce qu’on peut y placer de crânes et d’ossements (voy. p. 104).

Tous les préparatifs terminés, on ouvre les portes du caveau et l’on y fait entrer huit abaias (danseuses de la cour), en compagnie de cinquante soldats. Danseuses et guerriers, munis d’une certaine quantité de provisions, sont chargés d’accompagner leur souverain dans le royaume des ombres, en d’autres termes, ils sont offerts en sacrifice vivant aux mânes du roi mort. Chose étrange ! il se trouve toujours un nombre suffisant de victimes volontaires des deux sexes, qui considèrent comme un honneur de s’immoler dans le charnier royal.

Le caveau reste ouvert pendant trois jours pour recevoir les pauvres fanatiques, puis le premier ministre recouvre le cercueil d’un drap de velours noir et partage avec les grands de la cour et les abaias survivantes les joyaux et les vêtements dont le nouveau roi a fait hommage à l’ombre de son prédécesseur.

Durant dix-huit mois, le prince héritier gouverne en qualité de régent, avec les deux premiers ministres, au nom du souverain décédé. Les dix-huit mois expirés, il convoque une assemblée publique au palais d’Abomey, d’où tout le monde se rend au caveau funéraire ; le cercueil est ouvert et le crâne du roi mort en est retiré.