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influence de ces divinités malfaisantes. Quand nous fûmes un peu éloignés du temple, nous remontâmes dans nos hamacs, et, après deux heures de marche le long de la magnifique route de trente à quarante mètres de large qui relie Cana à Abomey, nous nous trouvâmes devant la porte principale de cette ville.

La contrée, qui s’étend entre les deux villes, étant peu boisée et le chemin étant tracé sur un plateau élevé, le voyageur domine le pays adjacent et jouit de points de vue aussi variés qu’agréables. Les terres nous parurent assez bien cultivées ; c’est en quelque sorte le jardin des cuisines, qui s’y approvisionnent de blé et de légumes. À moitié chemin entre Cana et Abomey, les voyageurs qui nous ont précédés signalent une maison de campagne appartenant au roi et un petit village appelé Daouhy, ancienne résidence de la famille régnante et capitale de son territoire, avant qu’elle eût été tirée de son obscurité première, par la fourbe et l’énergie sauvage de son ancêtre Tocodonu qui, au commencement du siècle dernier, s’empara de Cana par trahison et d’Abomey par la force des armes ; actes de conquérant qui fondèrent la grandeur de l’empire de Dahomey.

Située sur un sol parfaitement aplani du même plateau que Cana, la ville d’Abomey n’a pas moins de douze à quinze milles de circuit. Un fossé large et profond de cinq à six mètres et un mur en terre sèche de vingt pieds de haut en défendent les abords. On y pénètre par quatre portes, au devant desquelles sont jetés sur le fossé des ponts en bois très-légers et faciles à détruire. La population n’est pas en rapport avec l’étendue de la ville, car elle ne m’a pas paru excéder trente mille habitants. Les rues sont larges et assez propres ; mais peu animées, à cause de la disposition des maisons qui sont toutes renfermées dans des cours séparées de la rue par un mur en terre. Je ne parlerai pas de leur mode de construction, ce que j’ai dit de Wydah pouvant s’appliquer exactement à Abomey.

Case des sacrifices, à Cana. — Dessin de Foulquier d’après M. Répin.

La ville est aérée par plusieurs grandes places dont quelques-unes sont ombragées d’arbres vraiment magnifiques. La plus remarquable, située au centre, forme un parallélogramme dont les plus grands côtés n’ont pas moins de mille mètres de développement et les plus petits la moitié. À peu près au milieu s’élève un petit édifice de peu d’apparence, et dont le toit de forme ronde, soutenu par une colonnade en bois, ressemble à ceux des kiosques de nos jardins : c’est la case des sacrifices humains, où, dans les circonstances solennelles, on égorge les prisonniers de guerre.

Sur la même place est le palais du roi, agglomération d’une foule de cases séparées les unes des autres par des cours et des jardins, servant au logement des Amazones, des femmes du sérail et des domestiques esclaves. Ces diverses habitations sont construites en terre glaise séchée au soleil, et couvertes d’un toit de bambous qui se prolonge sur la façade pour former varangue. Un seul corps de bâtiment, sous lequel s’ouvre la porte du palais, celle qui donne sur la grande place, est surmonté d’un premier étage. Le roi y renferme ses richesses ; les murs en sont tapissés de cauris enfilés comme les grains d’un chapelet, et suspendus du toit jusqu’à terre. Nous n’avons vu nulle part ailleurs ce bizarre ornement.

Le roi n’a pas d’appartements particuliers ; il habite tour à tour les cases de ses femmes.

L’ensemble du palais est entouré d’un mur en terre sèche de quinze et vingt pieds de hauteur, percé de plusieurs portes, et hérissé, de distance en distance, de crochets de fer supportant des têtes humaines, les unes déjà blanchies par le temps, d’autres couvertes encore de quelques lambeaux de chair, quelques-unes enfin fraîchement coupées.

D’énormes tas d’ossements d’éléphant sont entassés devant les portes : ce sont sans doute des trophées de chasse ; néanmoins le respect qu’ils inspirent aux naturels et la crainte que l’on a d’en voir enlever, me font croire qu’on y attache quelque idée superstitieuse.

Répin.

(La suite à la prochaine livraison.)