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à la fatigue : ils peuvent faire trente kilomètres sans reprendre haleine ; quand les rennes se sentent à bout de forces, ils se couchent sur la neige, se reposent un certain temps, et reprennent leur course avec la même ardeur ; mais si un conducteur brutal veut les forcer à marcher quand ils ont besoin de repos, ils deviennent inflexibles, et se feraient tuer sur place plutôt que d’obéir. On dit la même chose des attelages de chiens qui remplacent les rennes dans le sud-est de la Sibérie.

Les rennes ne supportent pas la chaleur : aussi, dès le mois d’avril ils se dirigent vers les monts Ourals, où les neiges sont éternelles. Les individus auxquels ils appartiennent les marquent d’un signe particulier au moment de leur départ. Cela fait, on les abandonne, et ils ne manquent jamais de revenir au gîte à l’approche de l’hiver.

La peau des rennes est très-appréciée, on l’emploie à différents usages ; leur viande est savoureuse, et la langue surtout est très-estimée des gourmets : c’est un mets qu’on sert sur les grandes tables, à Pétersbourg, à Moskou et à Tobolsk.

Notre excursion m’eût été agréable sans la rigueur du froid, et malgré mes fourrures et mes ouates, j’ai beaucoup souffert et suis encore tout engourdie ; mais après quelques heures, la bonne température de ma chambre m’a complétement remise.

Les traîneaux dont on se sert pour un long voyage ont la forme d’une boîte ; l’intérieur est garni de lits de plume et de fourrures, les petites ouvertures ménagées pour renouveler l’air sont fermées par des rideaux épais. On voyage non assis, mais couché, et aussi commodément que si on était dans son lit. Les Sibériens n’admettent pas une autre façon de voyager. 8 décembre. — Les fenêtres n’ont point de vitres : elles sont remplacées par une peau de poisson préparée pour cet usage. Cette peau est un préservatif contre le froid, le vent, et permet d’enlever plus facilement la glace, mais cela rend les appartements tristes, sombres, et empêche de voir au dehors.

Ours conduits au marché (voy. p. 234).

Nous sommes à l’époque des plus longues nuits, le jour dure trois heures, on a des transports de joie quand on aperçoit le soleil, mais il se couche si vite qu’on n’a pas le temps de se réchauffer à ses rayons ; il ressemble un peu trop au bonheur de cette vie.

Ici, il n’y a pas d’horloges, il n’y en a même pas sur les églises. Le bureau de la police, car il y a une police s’il n’y a pas d’horloges, le bureau de la police possède un primitif sablier pour marquer les heures ; un Kosak a pour fonction de retourner le sablier à chaque demi-heure ; cela fait, il se dirige vers l’église et frappe sur la cloche, avec un marteau, autant de coups qu’il en faut pour indiquer l’heure. Le Kozak se tire assez bien de son emploi pendant le jour, mais la nuit il se perd dans ses calculs, et je me rappelle que, dans une nuit d’insomnie, j’ai compté jusqu’à quarante-cinq heures ; j’ai supposé qu’il était minuit.

Pour abréger les longues soirées d’hiver, il y a des hommes dont l’état, la position sociale est d’aller d’une maison à l’autre pour conter des histoires, des légendes et des contes. Ces espèces de bardes ne manquent pas d’éloquence ; l’un d’eux est venu hier chez moi ; j’ai retenu son récit, et je vais le rapporter : cela amusera mes enfants, si jamais ils lisent mon voyage.


Conte ostiak.

Un jour, sept Ostiaks se réunirent pour aller faire une chasse ; chacun avait attelé trois rennes à son traîneau, et chacun s’était muni de vivres, sans toutefois se préoc-