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au vent les bannières rouge et or de sa grande corporation des tisserands. Ces beaux jours sont passés. Au moyen âge, certaines villes privilégiées par la nature ou par l’histoire étaient libres, durant l’universelle servitude, et riches, au milieu de la misère générale. Aujourd’hui, on trouve dans le monde moins de priviléges, moins aussi d’asservissement. Quelques-uns sont descendus : c’est fâcheux ; mais la masse a monté : ne nous plaignons pas.

Augsbourg, surtout la vieille ville, derrière ses remparts devenus des promenades et ses cent tours inoffensives, mais qui ne l’ont pas toujours été, a bien l’air d’une capitale découronnée, ou d’une de ces villes prises par le mal héréditaire des aristocraties usées, le marasme : pas de mouvement, à peine quelques voitures et une population peu pressée, qui n’est pas la moitié de celle d’autrefois. On dirait de rentiers qui jouissent tranquillement des restes d’une vieille opulence, plutôt que de gens occupés à ramasser une fortune nouvelle. Cependant, en dehors des portes, dans les faubourgs, l’industrie se réveille, mais lentement, et le commerce est surtout celui de commission.

Par l’abondance des eaux qui l’entourent, Augsbourg est une cité quasi hollandaise : jusqu’en 1643, la bonne ville paya en poisson une partie de ses employés. Le Lech, qui la traverse, est, au-dessus et au-dessous, un torrent fougueux, mordant et rongeant ses rives, aux dépens du paysan qui en enrage, et se refusant à peu près partout à porter bateau ; mais, avec le citadin, il est docile et discipliné de la plus débonnaire façon. Pour lui, il se résigne à faire marcher des moulins et se prête en bon compagnon à aider ses vieux amis les tisserands.

Ces tisserands ont formé longtemps la première corporation de la ville et se vantaient de manier l’épée aussi bien que la navette. À l’anniversaire de la grande bataille du Lech qui, il y a 900 ans, délivra l’Allemagne des Hongrois, ils faisaient, pour célébrer leurs vieux exploits, une magnifique cavalcade avec de grandes épées, d’orgueilleuses bannières et les plus fières devises. Ce qui n’empêcha pas le margrave de Bade, un rude soldat qui, en 1703, avait pris ses quartiers d’hiver à Augsbourg, d’écrire à l’empereur : « La maladie des citoyens est d’être peureux. » Pauvres bourgeois, quel mépris ont toujours eu pour vous ces batailleurs, si heureux cependant de mettre la main dans votre bourse que la guerre vide et que le travail remplit !

Augsbourg étant à la fois ville impériale et évêché souverain, avait deux maîtres qui ne s’entendaient pas toujours : l’évêque et le bourgmestre. Le quartier de l’évêché formait comme une ville à part : rues étroites, mais nettes et propres, silencieuses et discrètes, bordées de petites maisons avec de grands jardins que de hauts murs mettaient à l’abri des curieux. Le chapitre métropolitain interdisait jalousement à tout bourgeois ou fils de bourgeois de s’y établir.

Les fossés d’Ulm (voy. p. 214).

La réforme, cependant, y entra, et Augsbourg eut pour les uns l’honneur, pour les autres la honte, de donner son nom au symbole de foi que les protestants d’Allemagne gardent encore. Il s’y conserva des catholiques, ils sont même en majorité, et les deux partis y furent longtemps, l’un contre l’autre, à couteaux tirés :