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environ au-dessus du sol. Leur toiture à double plan incliné déborde de beaucoup les murailles, de façon à former une galerie autour de l’habitation ; elle est faite en feuilles de canne à sucre ou de cocotiers et élégamment soutenue par des poteaux indépendants de la muraille et placés aux quatre coins.

Ces cases ont, en moyenne, une dizaine de mètres de longueur sur trois en largeur et autant en hauteur. Élevées comme elles sont au-dessus du sol, il n’est facile d’y pénétrer qu’à la faveur d’un escalier rudimentaire fixé en permanence devant la porte. C’est un morceau de bois bifurqué dont la fourche sert d’échelon.

Elles sont passablement aérées par la porte et la fenêtre, qui sont, à vrai dire, très-exiguës. Il est facultatif de les ouvrir ou de les fermer au moyen des battants dont elles sont munies.

Au milieu se trouve un foyer circonscrit par des cailloux. On y entretient sans doute la nuit un feu permanent pour écarter les moustiques, qui pullulent sur le rivage. Pareille disposition et pareille coutume existent en Nouvelle-Calédonie, aux îles Fidjis, et probablement ailleurs, mais je ne parle que de ce que j’ai vu.

En résumé, la construction de ces habitations est fort bien entendue pour procurer à leurs hideux propriétaires un abri contre les ardeurs du soleil de feu qui les éclaire et qui ferait mieux de les brûler, en même temps qu’elle les met à l’abri de l’humidité du sol, avantage précieux durant l’hivernage.

Les Rosseliens sont loin d’apporter en toutes choses la même industrie, car, si j’en juge par les objets trouvés dans leur village et enlevés par nous à l’improviste, de telle sorte que les fuyards n’eurent le temps d’en rien emporter, ils n’ont d’autre instrument d’industrie qu’une petite herminette. C’est une pierre de basalte articulée en coude avec le manche. La sagaie et la pierre sont leurs seules armes de guerre. J’ai fait connaître la trompe (conque marine) dont ils sonnent pour se rallier. C’est quelque chose d’analogue à ce qui sert, dans nos campagnes, à offrir un charivari à la dame qui convole à de nouvelles noces.

On connaît leurs pirogues : ils les manœuvrent très-bien.

Ils fabriquent des nattes et des paniers avec des lanières végétales. Leurs couteaux sont des valves d’huître finement dentelées sur les bords.

Arrivons enfin au portrait de ces affreux personnages. Ils ont la peau d’un noir mat comme la suie, le nez écrasé, la bouche large, l’œil noir et injecté, les pommettes saillantes, la chevelure noire, longue et crépue, la barbe rare et frisée, le front un peu fuyant. Leur taille et leur musculature sont très-médiocres.

L’usage du bétel donne à leurs lèvres et à leurs gencives la couleur de l’écrevisse cuite ; leurs dents sont noires et corrodées.

Les femmes sont obèses, avec des traits grossiers, une chevelure semblable à celle de leurs maris, un sein exubérant et piriforme.

Les élégants se font des favoris avec de la chaux et se passent transversalement dans la cloison du nez une tige d’os grosse comme une plume d’oie. C’est la même tige que les matelots de Cook remarquaient avec étonnement au nez des Australiens et qu’ils appelaient comiquement la vergue du beaupré. Le costume des hommes consiste en une poche faite avec une feuille d’arbre.

Les femmes ont pour tout vêtement une ceinture à franges, en fibres d’écorce, et qui retombe jusqu’à mi-cuisses.

Les deux sexes font un fréquent usage du bétel. À chaque instant, on les voit mordre un morceau de noix d’arec (fruit du palmier arec) et de feuille d’un poivrier (piper bétel), et porter sur les gencives, au moyen d’une spatule en bois, la chaux qu’ils puisent dans une calebasse[1]. J’ai rapporté en France tous ces objets, pris soit dans le village, soit entre les mains de notre Chinois, qui nous arriva avec un costume et un appareil de toilette complets.

Le climat de Rossel est très-chaud.

Si tout le littoral est peuplé comme la partie de la côte que nous avons parcourue, il doit y avoir plusieurs milliers d’habitants dans l’île.

V. de Rochas.




NOTICE SUR LA BASSE COCHINCHINE.


En attendant les documents nouveaux destinés à compléter ceux ne nous avons déjà publiés sur l’empire d’Annam[2], nous croyons devoir offrir, dès aujourd’hui aux lecteurs du Tour du monde une carte exacte de la portion de cette contrée où flotte à demeure le drapeau de la France.

Formée par les atterrissements successifs que le Mékom, Song-Len ou fleuve du Cambodge, un des plus grands cours d’eau de l’Asie, a déposés, dans la suite des siècles, entre le golfe de Siam et la mer de Chine, la basse Cochinchine est une sorte de Delta, une vaste alluvion, d’une superficie égale à cinq ou six départements français, et découpée par un nombre infini de bras de rivières et de canaux, aussi favorables à l’a-

  1. C’est ce mélange qui constitue le bétel ; mélange qui se fait dans la bouche des sauvages, et n’est pas préparé d’avance comme dans l’Indo-Chine et à Java.
  2. Tour du monde, Ier vol. p. 50 et suivantes.