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3418. — 62me ANNÉE — No 39.
Dimanche 27 Septembre 1896
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)

LE
MÉNESTREL

MUSIQUE ET THÉATRES
Henri HEUGEL, Directeur

Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d’abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr. ; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d’un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l’Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE

i. Étude sur Orphée (5e article), Julien Tiersot. — ii. Bulletin théâtral : reprise de la Famille Pont-Biquet au Gymnase ; Paris-Pékin au Nouveau-Cirque, Paul-Émile Chevalier. — iii. Gilbert Duprez, notes et souvenirs. Arthur Pougin. — iv. Musique et prison (19e article) : Prisons politiques et modernes, Paul d’Estrée. — v. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.

MUSIQUE DE PIANO

Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :

CHANSON D’AUTOMNE

de Cesare Galeotti. — Suivra immédiatement : Albert Cuyp, no 1 des Portraits de peintres, pièces pour piano de Reynaldo Hahn.


MUSIQUE DE CHANT

Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de chant : Sérénade d’automne, mélodie de L. Delaquerrière, poésie d’André Alexandre. — Suivra immédiatement : Si j’ai parlé, mélodie nouvelle de Léon Delafosse, poème de Henri de Régnier.

ÉTUDE SUR ORPHÉE

De GLUCK
(Suite)

Quant à l’œuvre en elle-même, elle réunit tous les suffrages en un accord unanime. C’était le temps où l’art de Gluck avait encore pour le public parisien tout le charme de la nouveauté ; et si déjà quelques rumeurs indicatrices commençaient à se faire entendre sourdement, du moins la guerre qu’elles annonçaient n’était-elle pas encore déclarée. Orphée se trouva donc, aussi bien par la date de sa représentation que par celle de sa composition, en dehors des disputes des gluckistes et des piccinistes. Son succès fut franc, sincère et immédiat ; il fut obtenu en dehors de toute influence de la cour, puisque Marie-Antoinette, reine depuis quelques semaines, ne put, en raison du deuil de Louis xv, assister à la première représentation. En réalité, Orphée fut la seule œuvre de Gluck qui n’ait pas été discutée. Il semble même que ses véritables beautés furent comprises dès l’abord, car la plupart de ceux qui nous ont laissé des témoignages de leurs impressions ne se contentent pas d’admirer le chant : « J’ai perdu mon Eurydice », par lequel il était naturel qu’ils fussent frappés en premier lieu, mais parlent surtout des deux tableaux des Enfers et des Champs Élysées, dont les beautés neuves et profondes auraient pu ne pas être si promptement comprises.

Le Mercure de France, bien que tenant visiblement pour l’ancienne musique française, semble exprimer assez fidèlement le sentiment de la généralité du public dans les deux comptes rendus, pleins d’éloges, qu’il consacra successivement à l’œuvre. Après avoir analysé le poème, il dit d’abord :

« L’action est sans doute beaucoup trop simple pour trois actes… Mais la musique supplée à ces défauts. Elle confirme l’idée que l’opéra d’Iphigénie avait déjà donnée du génie de M. le chevalier Gluck pour peindre et exprimer les affections de l’âme.

L’ouverture est un beau morceau de symphonie qui annonce très bien le genre de ce spectacle. Il nous a paru seulement que le motif ou le trait principal de musique se représente trop souvent et y met un peu de monotonie. Le chœur de la pompe funèbre est de la plus riche et de la plus touchante harmonie. Les cris d’Orphée qui appelle son Eurydice, sont d’un grand pathétique. Tout ce magnifique morceau et les airs attendrissants qui le suivent, répandent dans l’âme la tristesse. On est enchanté des chants doux et insinuants de l’amour consolateur. L’air de la fin du premier acte, L’espoir renaît dans mon âme, ne peut être plus brillant, mieux ordonné, mieux contrasté et plus propre à faire ressortir le talent d’un habile chanteur et d’une voix superbe, tel que M. Le Gros.

Le chœur terrible et le fameux Non ! des démons, en opposition avec les prières et les accents si tendres et si touchants d’Orphée, dont l’accompagnement est imité de la lyre, produisent le plus grand effet. Il y a bien de l’art encore dans la manière dont le musicien a su rendre la pitié contrainte des démons qui, ne pouvant résister au talent vainqueur d’Orphée, lui ouvrent eux-mêmes le chemin des Enfers. Le bonheur tranquille des Champs Élysées rappellent les même tableaux exécutés pareillement dans l’opéra de Castor de Rameau, et ne les font pas oublier. Nous croyons même que la musique du compositeur français est mieux sentie, plus appropriée, et, pour ainsi dire, plus locale que celle de M. le chevalier Gluck. Elle est ici empruntée du genre pastoral, et il lui fallait peut-être une autre nuance.

La scène du troisième acte, entre Eurydice et Orphée, est, comme nous l’avons dit, languissante, malgré le duo sublime, de la plus étonnante et de la plus vive expression, qui seul suffirait pour caractériser un homme de génie.

Le récitatif employé dans cet opéra se rapproche beaucoup de celui de Lulli, mais de son récitatif débité, déclamé et parlé, comme vraisemblablement ce musicien le faisait exécuter, et non chanté, comme il l’a été abusivement après sa mort. Les morceaux de symphonie et d’accompagnement sont très bien faits, quoiqu’ils paraissent quelquefois chargés de beaucoup de traits et d’accords recherchés et contrastés, qui embarrassent souvent l’expression, d’autant plus sûre qu’elle est moins compliquée.

Les airs de danse de cet opéra sont en général plus soignés et plus variés que ceux d’Iphigénie ; il en est plusieurs d’un tour original et piquant que Rameau lui-même eût enviés. Il n’y a, dans cet opéra, que deux rôles principaux. Eurydice est parfaitement jouée et chantée avec beaucoup d’âme, d’intelligence et de précision par Mlle Arnould