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les avais faits. Mais, si d’une part tout ce tourbillon, toute cette foule de livres, se composent, comme on sait, d’une centaine de petites nouvelles funèbres et mélancoliques, ne prouvant en aucune manière l’existence d’une littérature nationale, d’autre part on ne peut la supposer non plus là où la majeure partie des publications, si non le tout, consiste en traductions ; et traduire n’est pas plus écrire, que calquer et reproduire le dessin d’autrui à l’aide d’une vitre transparente n’est dessiner. Et cette vérité est telle que je ne crains nul démenti, nulle allégation contraire de cet essaim d’écrivassiers auxquels on pourrait appliquer les tercets du roi d’Actiéda :

Comme les gouttes d’eau que le printemps envoie
Sont grenouilles un jour, quand dardent les chaleurs
Du soleil sous qui tout et bourgeonne et verdoie ;

Sous les faux d’Apollon ainsi ces rimailleurs

Naissent allègrement du limon qui poudroie
Si gentils, si pimpants que c’en est une joie[1].

Et plus tu me compteras parmi eux, plus tu me feras plaisir, car si tu me demandes pourquoi je me mêle, moi aussi de griffonner, sans en savoir plus que les autres, je te répondrai : « Partout où tu es, fais ce que tu dois. » Ainsi, si j’étais dans un pays de boiteux, je me poserais une jambe de bois, je suis né et je vis dans un pays d’écrivassiers et de traducteurs, je veux et dois être écrivassier et traducteur ; et je ne puis faire autrement, car non-seulement il ne serait pas juste de me singulariser, ce dont la conséquence serait qu’on me montrerait au doigt dans les rues ; mais encore, il ne dépend du libre arbitre de per-

  1. V. la note page 5.