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nous la ferons catholique. » Ces projets criminels ont réussi ; mais qu’est-il arrivé ? Un ambassadeur d’Élisabeth d’Angleterre, écrivant à sa souveraine, lui signalait que les protestants de Hongrie préféraient les Ottomans aux catholiques. Et, jusqu’en ces dernières années, lord John Russell ayant demandé à un magnat hongrois, non plus protestant, mais catholique, pourquoi l’Autriche, qui avait délivré la Hongrie du joug des Turcs, n’était pas aimée des Hongrois : « Plût à Dieu, répondit le magyar, qu’elle ne nous en eût pas délivrés. » M. Philarète Chasles, auquel nous empruntons ces deux traits[1], attribue cette préférence à l’affinité des races ; mais nous avons lieu de penser qu’elle a sa vraie cause dans l’oppression civile et religieuse de la politique austropapale[2].

Que voyons-nous, d’autre part, chez les Slaves et les Croates ? Le comte Jellacic, feld-maréchal, lieutenant et vice-pan de Croatie, le frère même du fameux pan Jellacic qui avait sauvé l’Autriche et avec elle le papisme de leur ruine, a fini par déclarer qu’il aimerait mieux voir sa nation sous le joug des Turcs que sous l’influence exclusive de quelque nation civilisée : vu que les Turcs se contentent du corps de leurs esclaves, tandis que les nations civilisées réclament aussi leur âme[3]. Jellacic, en parlant ainsi en termes généraux, évidemment ne songeait qu’à l’Autriche ; car la civilisation n’a rien à faire avec la politique austropapale.

L’Allemagne protestante partage aussi l’exaspération des Hongrois. Lorsque dans la diète de Worms, le légat du pape, Chieragati fit observer que, si la Hongrie succombait, l’Allemagne tomberait également sous le joug turc, il lui fut répondu : « Nous aimerions mieux servir les Turcs que vous, qui servez le dernier et le plus grand ennemi de Dieu, ainsi que l’abomination elle-même[4]. » Et de leur côté, ceux qu’on appela les gueux en Hollande, mais qui furent les sauveurs de ce pays et le délivrèrent du joug infernal des Espagnols, exaspérés par les persécutions atroces des instruments du pape, écrivaient sur leur chapeau de marin : « Plutôt Turcs que papistes[5]. » En plusieurs endroits de sa correspondance, Érasme s’écrie qu’il préférerait le joug des Turcs à celui du clergé papal.[6] À trois siècles de

  1. Dans le Journal des Débats du 4 décembre 1859.
  2. M. Chassin, que nous avons ci-dessus cité, conclut, lui aussi, après plusieurs considérations, que, malgré l’affinité des races, les Hongrois comme chrétiens n’auraient jamais eu des préférences pour les Turcs, si ce n’eût été à cause de l’oppression austropapale.
  3. Voyez le Nord des 2 et 3 septembre 1861, sous la rubrique Autriche.
  4. Voyez la Défense de Cochlœus, par Lessing, dans ses Œuvres complètes (Berlin, 1838-1840), tome IV, cité par Alzog, dans son Histoire de l’Église universelle, § 303, notes.
  5. Revue des Deux-Mondes, 15 juin 1860, page 934.
  6. Erasmi Epistolæ, pages 514, 528, 608, 1003 ; Oper., tome III, pars I, pages 684,