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gouvernements qui recevaient leurs inspirations du pape. « Ce prince, comme dit M. Quinet, semble redouter moins le mahométisme moderne que le christianisme mongol[1]. »

Qu’il nous soit permis cependant de soumettre quelques remarques à l’auteur. Cette observation, juste et vraie au fond, est exprimée dans une forme inconcevable. Il n’y a pas un mahométisme ancien et un mahométisme moderne. Il n’y en a qu’un seul et unique, tel qu’il est sorti de la pensée du prophète de l’Arabie, et aussi immuable que le Dictatus papæ dont le Syllabus moderne n’est qu’une pure amplification. Mais il y a un mahométisme fort et un mahométisme faible, comme il arrive aussi du papisme ou de toute autre croyance qui professe le droit de la contrainte en matière de religion[2], — atroces et arrogants quand ils disposent de la force matérielle, accommodants et patelins lorsqu’elle leur échappe.

Quoi qu’il en soit, le fait est que les Dacoroumains, pour la conservation de leurs sincères croyances religieuses, ont préféré se confier au mahométisme tel quel plutôt qu’au christianisme papal, et non mongol, comme s’exprime improprement l’auteur, dévoyé par la préoccupation des événements contemporains. L’élément mongol peut se trouver plus ou moins mêlé dans le sang des Russes, comme il l’est dans celui des Hongrois et dans celui des

  1. E. Quinet, Œuvres complètes, tome VI, pages 68-85. Pour ce qui suit, après ces pages, on peut faire remarquer avec M. Saint-Marc Girardin (dans la Revue des Deux-Mondes du 15 novembre 1858, page 347) : « Où voulez-vous que les Roumains aient appris à être forts et hardis ? Quel usage auraient-ils pu faire des qualités que vous leur reprochez de ne pas avoir ? Est-ce à la cour des Phanariotes ? Et les Phanariotes eux-mêmes, toujours à la veille d’être décapités, qu’auraient-ils fait de leurs grandes vertus ? Est-ce, à Constantinople qu’elles leur auraient servi ? Roumains et Phanariotes ont eu des qualités et aussi des vices que comportait leur histoire. » On peut s’en rapporter encore à ce que l’auteur a exprimé lui-même sur le tombeau de son beau-fils, G. Mourousi : Les Mourousi ne furent pas les seuls qui ont su « faire le bien dans un temps où le bien était impossible. » Une fois que les Principautés furent obligées de se jeter, dans leur désespoir, sous le joug de la domination ottomane, la nomination de princes qui fussent chrétiens, soit de Phanar, soit de tout autre endroit de Constantinople ou de l’empire, — puisque les indigènes ne se trouvaient pas en état d’approcher et d’entourer le pouvoir ; — cette nomination, dis-je, n’était pas le pire des maux qui leur pût arriver. Ailleurs, quels que fussent les traités de la reddition, il y avait des pachas pour gouverneurs, et, quels que fussent les princes nommés par la Porte, la corruption est un mal inévitable chez ceux qui dépendent ou qui se trouvent autour d’un pouvoir arbitraire. Qu’on examine avec attention l’état moral chez toutes les autres cours contemporaines du dix-huitième siècle en Europe, et qu’on en juge.
  2. L’Église orientale, — et que cela soit dit à son éternel honneur, — n’a jamais professé ce principe antichrétien. Elle l’a toujours repoussé, par la voix de ses hiérarques et de ses docteurs, dans tous les cas et en toute occasion. Elle l’a solennellement condamné lors du concile tenu à Sainte-Sophie pour la réprobation des accommodements de Florence.