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niens[1]. Les dignes moines, en fervents adorateurs de Fo, s’en affligeaient, conseillaient au peuple d’éviter ces commerçants peu scrupuleux et donnaient l’exemple comme il sied.

Quand la Société des Poings de l’Équitable Harmonie procéda à la punition des criminels transocéaniens, le couvent, devint pour l’endroit le temple de la bonne cause. Les moines, comme il sied, ne voulaient pas de meurtre. Ils voulaient chasser ces usuriers par la seule menace[2].

Leur bonté leur devint poison. Les armées transocéaniennes arrivèrent. La fureur du peuple augmentait et les missionnaires partirent. Mais avant de se mettre en route, ils rendirent visite au vénérable prieur du couvent, et au dire de mon frère, à beaucoup de gens aisés. Ils exprimèrent au prieur leur reconnaissance de ce qu’il eût calmé le peuple et lui promirent de protéger le couvent de leur côté quand plus tard l’armée occidentale viendrait punir la Grande-Société, mais ajoutèrent que pour lui assurer la sécurité, il leur fallait dix mille onces d’argent, de quoi corrompre le chef des troupes de leur pays. Le prieur donna l’argent. Le même jour encore vinrent les autres, les catholiques, qui répétèrent la même chose, en ajoutant que leur pays étant différent, il leur fallait de leur côté la même somme, dans le même but. Le prieur sachant que les houles occidentales sont

  1. Les signes donnés ici comme caractéristiques des communes chrétiennes en Chine sont d’une importance toute particulière. Les missionnaires sont des patrons, des administrateurs de société. Le mot « société » à cet endroit n’est point « tzin-hsiang » qui est employé dans le sens paroisse, commune religieuse, mais bien et bel « gong-sze », « association » employé toujours dans le sens commercial, comme on le trouve par exemple dans « bao-hsian-gong-sze » société d’assurance, etc. Les Chinois chrétiens que d’ignorants politiciens européens voudraient prendre sous leur protectorat, ne sont en vérité rien que des individus dans une situation financière désespérée qui, avec l’appui de l’argent chrétien, cherchent à se relever. C’est du reste un fait connu de tous ceux qui connaissent les Chinois. Les missionnaires eux-mêmes reconnaissent cet état de choses. (Voir Revue blanche, 1er janvier 1901, page 5.) Si les missions perdaient leur action financière, le christianisme n’y résisterait point. Et s’il y a des faits qui montrent comme, avec une fidélité touchante, les « chrétiens » chinois ont protégé des missionnaires, il ne faut y voir qu’un trait général du caractère chinois : l’attachement presque filial du subordonné au supérieur, lequel est du reste prescrit par la morale comme caractéristique de l’une des quatre relations sociales. La seule chose étonnante, c’est l’extrême impudence des « patrons » des chrétiens qui prétendent représenter en Europe leurs affaires privées comme affaires d’État et affaires de civilisation, et cela avec une indéniable mauvaise foi.
  2. Voilà bien les barbares, les horribles chefs de boxeurs ! Chasser les usuriers par les menaces, le droit n’existant plus. Combien ces moines pacifiques et naïfs diffèrent de ceux qu’ils voulaient « menacer » ! Le terme « usurier » est-il suffisant ? Le mot s’applique en chinois surtout à ceux qui par chantage ou autres moyens, forçant le consentement, enfin par la contrainte, se procurent de l’argent ou arrivent à se soustraire à leurs obligations. L’histoire rapportée dans la Revue blanche (15 juin 1901, page 278, note 7), est bien celle d’un « usurier » de ce genre.