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de l’Océan Occidental[1] ont fait une invasion belliqueuse dans l’Empire du Milieu[2]. Ils ont forcé l’Empereur à quitter la Résidence, et ils ont culbuté le gouvernement ; ainsi aucun département administratif n’a plus pu fonctionner. Puis, ils ont, en assassinant et en pillant, envahi le pays non défendu. Ces infernaux criminels déclarent qu’ils sont en négociations de paix avec l’Empereur ; mais, en même temps, ils continuent à torturer le peuple d’une façon inouïe, avec une cruauté terrible et une joie diabolique. En comparaison de ces hordes avides de chiens enragés, ils étaient vraiment encore humains, ces renards de missionnaires qui ont produit tout ce malheur parce que leur commerce infâme allait si mal[3]. Il n’est pas un parmi ces

  1. En chinois : Si-yang-jen. Dans ce nom on voit exprimé le fait capital, la cheville de l’affaire chinoise. Le nom, couramment employé pour désigner les Européens ne saurait se rapporter aux Russes. Cette différence entre Russes et Européens est de la plus haute importance.

    Elle provient de ce que le Russe a toujours communiqué avec le Chinois par voie de terre et l’Occidental par voie de mer. Par voie de terre, la pénétration mutuelle est infiniment plus considérable. Les établissements commerciaux et autres situés à la frontière, l’existence de peuplades pour ainsi dire intermédiaires entre les deux grandes nations, la nécessité naturelle d’apprendre la langue du voisin, tout collabore à la création, par le commerce, d’un contact aussi intime qu’amical : on se connaît, on respecte les institutions, croyances, usages l’un de l’autre ; on se traite d’égal à égal. C’est depuis bientôt deux siècles le cas des Russes en Asie.

    La situation des Occidentaux est, par leur faute, tout autre. Celui qui arrive par mer est un envahisseur. Il n’est pas un voisin qui vit tranquillement ; il veut quelque chose. Et, même s’il ne fait que le commerce, nul doute qu’il ne soit là pour duper l’autre. Si, en outre, il est maître de la mer, il devient nécessairement l’ennemi politique. Et cela surtout quand la compréhension mutuelle des civilisations, le respect mutuel qui ne naît que de la connaissance mutuelle, fait totalement défaut. C’est le cas de l’Occidental en Chine : en première ligne, celui de l’Anglais.

  2. En chinois Tchong-kouo, le véritable nom de la Chine. Les mots « Céleste Empire », et « Célestes », n’ont pas de sens ; ils étaient le nom de l’empire imaginaire des révolutionnaires Thaï-ping.
  3. L’origine de la « haine de l’étranger » que l’on reproche aux Chinois mérite d’être déterminée. C’est l’Anglais qui a créé cette haine. Il n’a ni connu ni respecté le droit commercial chinois ; et il a mis au service de la violation des principes chinois l’hypocrisie du christianisme moderne.

    En Chine l’engagement verbal oblige. Besoin n’est ni de contrat de vente, ni, pour le règlement des affaires, de traités ou d’autres effets de commerce. Une note dans un calepin sert de preuve. Les témoins ne sont nullement nécessaires. En cas de contestation on prête serment sur la tête coupée d’un coq, et l’on peut même procéder à une preuve par indices, en examinant la marche générale des affaires du défendeur. Donc, l’honnêteté simple et absolue est la base, la seule base du commerce.

    Or, les missions commerciales aussi bien que les religieuses s’étaient réservées l’exterritorialité : elles n’étaient jamais soumises au droit chinois. Elles pouvaient donc se prévaloir des avantages de ce droit sans observer les obligations qu’il comporte. L’histoire suivante, dont, au besoin, nous nommerons le héros, n’est point un cas exceptionnel.

    Le chef d’une grande mission au Chen-si, Américain de nationalité, eut l’idée de s’enrichir d’un coup subit. Comme, au su de tout le monde, il disposait de grands moyens financiers, il pouvait acheter sans difficulté de la soie pour environ deux cent mille francs : cette