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peuple chinois. Que le ciel vous donne le courage de supporter ces revirements du destin ![1].

Il s’est produit dans tout l’Empire du Milieu d’innombrables faits semblables à ceux qui ont éprouvé votre famille. Tout est à l’anarchie et la situation du peuple est telle qu’il n’est même pas possible d’observer le deuil d’après les règles du rite. Il faut s’occuper comme à l’ordinaire de toutes les affaires pour ne pas être affligé de nouveaux désastres et pour sauver ce qui reste à sauver.

Les affaires commerciales sont nécessairement nulles. Les troubles militaires continuent encore. Mais les Ous, à ce qu’il parait se rapprochent vite du nord-est pour rétablir l’ordre[2]. Nos affaires domestiques vous sembleront cependant d’une importance plus grande.

  1. Ces deux lettres ont été publiées à l’endroit précité. Au moment où cette lettre partait de Kalgan, le destinataire était déjà mort. Le vieux Ou-sse-gong souffrait depuis assez longtemps déjà d’une affection rénale. Après qu’il eût reçu la première lettre, une hémorragie violente se déclara, l’urémie fit le reste ; il vécut encore sept jours. Il est mort le 27 janvier, fête de l’empereur d’Allemagne…
  2. Les mots Ou (Russe), Ying (Anglais), Pou (Allemand), Fat (Français), ne sont nullement des sobriquets, comme on a pu le croire. Ce sont des abréviations de la prononciation chinoise des noms européens. « Pou » est la première syllabe de Pou-lou-ci. Prusse. De même Fat, pour Fat-lan-ci, France.

    J’ai pu croire longtemps que dans ce passage le mot nord-est figurait par erreur pour le mot nord-ouest. Les Chinois, en effet, espéraient l’arrivée des Russes par la route de Kiakhta. La vraie signification de ce propos ne m’a apparu que récemment en suite d’une communication faite par un jeune ethnologue très distingué, M. van Gennep, lequel est très lié aveu un officier russe, remplissant une fonction importante dans l’armée d’occupation en Mandchourie. Celui-ci lui a fait savoir incidemment que, dès le mois de janvier on avait entrepris un « raid », de Tsitsikar à Kalgan, raid considérable et d’autant plus curieux que le bagage de tout le monde, officiers et cosaques, consistait en… lingots d’argent. Cette expédition russe venait en effet à Kalgan du nord-est.

    Le transport d’argent n’a rien de surprenant. Comme il ressort de ce qui a été dit (Revue blanche du 15 juin, p. 292, note 44), il y eut pendant toute la campagne des envois d’argent de Sibérie en Chine. D’après un calcul nécessairement approximatif, on a fait parvenir de Russie en Chine depuis le mois de septembre jusqu’au mois de février, environ 20 millions de francs en lingots d’argent… et ce n’est que ce que j’ai pu vérifier. Une petite partie de cette somme a servi à indemniser les princes et le haut clergé mongol et à construire la forteresse russe à Ourga, la capitale mongole actuellement russe. Les neuf dixièmes de la somme ont été transporté vers le sud. Il parait sûr, d’après le document reproduit à l’endroit cité, que cet argent partait à destination de Hsi-ngan, c’est-à-dire du gouvernement chinois.

    Les sommes emportées de Tsitsikar à Kalgan, nécessairement trop petites pour être utile la Cour, devaient très probablement servir à autre chose : c’est qu’au mois de mars, une forte colonne de cosaques (quatre sotnies) accompagnée d’un ingénieur de haut grade, est partie de Kiakhta à travers le désert pour la passe de Si-ouan-tse avant Kalgan, endroit qui comme point stratégique « domine », d’après le mot des anciens empereurs mongols, « toute la Chine et constitue la clé du monde ». Il s’agissait de construire à cet endroit un fort russe. Cette entreprise d’importance mondiale doit, à l’heure qu’il est, être un fait accompli. C’est la victoire définitive de la Russie.