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Quand j’étais enfant en Chine[1]


III
la cuisine chinoise

L’organisation domestique aussi était simple. En l’absence de son mari, ma grand’mère était le chef de la famille. C’est elle qui assignait leur tâche aux domestiques et réglait leur travail ; elle qui assignait leur rôle à ses filles et à ses belles-filles.

Nous avions un cuisinier à gages ; plusieurs filles de service et un domestique mâle ; aussi n’était-il pas besoin que les dames de notre famille profanassent leurs mains fines et fatiguassent leurs pieds délicats.

Ma grand-mère, cependant, avait ses idées à elle sur le travail et savait faire que ses filles ne fussent ni paresseuses ni ignorantes.

Le lever était toujours entre six et sept heures du matin.

Dès le point du jour, les gens de service étaient en mouvement. Ils balayaient, faisaient chauffer de l’eau et allaient ensuite réveiller les maîtres respectifs, et mettre devant eux l’eau chaude nécessaire à leur toilette.

Alors, chacun se réveillait et les salutations étaient scrupuleusement échangées. Nous autres Chinois, nous ne disons pas « bonjour », nous disons « jour matinal ! »

Ensuite on envoyait les domestiques au marché acheter ce qu’il fallait pour préparer le déjeuner.

Suivons-les donc.

Nous circulons à travers des rues étroites, flanquées de murailles blanches dont la monotonie n’est coupée que par les entrées de porte et nous arrivons au quartier commerçant de la ville.

Nous voici dans un milieu tout grouillant de vie et d’animation. Des domestiques des deux sexes vont au marché ou en reviennent, portant des paniers d’osier remplis d’anguilles, de poissons, de viande de cochon, de légumes. À droite et à gauche, nous frôlons les boutiques d’encens, les boucheries, les épiceries, les étals des poissonniers et les carreaux de marchands de légumes.

La fange rend glissant le pavé de pierre. Le bruit est assourdissant. Une marchandise n’a pas un prix unique. Le vendeur et l’acheteur discutent quelques instants à propos de millimes. Le temps pour nous n’a pas de prix. Le domestique chinois se promène donc en tous sens par le marché, écoutant les prix qu’offrent les uns, supputant toutes les marchandises et les marchandant si audacieusement que l’étalagiste ne veut consentir à rien vendre.

  1. Voir La revue blanche du 15 octobre 1900.