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Quand j’étais enfant en Chine[1]


I
mon enfance

Un jour de l’année 1861, je naquis. Je ne peux pas vous dire la date plus exactement, parce que l’année chinoise diffère de l’année américaine, et, nos mois étant lunaires, c’est-à-dire comptés par les révolutions de la lune autour de la terre, sont plus courts que les vôtres.

Nous calculons le temps d’après l’avènement des Empereurs et par périodes de six ans à partir de ce point. L’année de ma naissance, 1861, fut la première du règne de l’Empereur Tong-Tché.

Nous avons douze mois, ordinairement, et nous disons, au lieu de Janvier, Février, etc., Lune Régulière, Deuxième Lune, Troisième Lune. Tous les trois ans revient la Grande Année, elle renferme un mois de plus ; en sorte que nos années lunaires rattrapent vos années solaires.

Comme j’étais un garçon, je fus un sujet de réjouissance dans ma famille et parmi nos nombreux amis. Si, par hasard, j’avais été fille, c’eût été tout autre chose. J’en dirai le motif dans le chapitre sur les petites filles de mon entourage. Mon très vieux grand-père sourit de joie, quand la nouvelle lui parvint à Fong-Chuen, à trois cents milles dans l’Est, où il tenait un emploi de sous-chancelier lettré.

Les congratulations plurent, sous la forme de présents : riches vêtements, bijoux, pieds de cochon. Ces dons affluèrent juste un mois après ma naissance ; ce jour est célébré comme celui du baptême en Amérique. Ce jour-là, que nous appelons l’Accomplissement de la Lune, mon nom me fut donné.

Le surnom de Li me vint du domaine que ma famille possède en commun, et lorsque l’on eût ajouté Yan-Fou, qui signifie Trésor par la faveur impériale, cela fit Li-Yan-Fou. Mais je n’arrange pas mes divers noms suivant la coutume américaine.

Les noms que nous recevons en cette circonstance ne sont pas comme les vôtres, Jack, Harry ou Dick, mais des mots usuels choisis dans le dictionnaire à cause de leur joli sens, ou parce qu’on leur suppose le pouvoir d’éloigner les influences funestes. Vous devez savoir qu’en Chine, aussitôt qu’un enfant est né, on étudie les pré-

  1. Les impressions d’enfance et de jeunesse que l’on va lire ont été écrites en anglais par un Chinois, Yan-Fou-Li. Yan-Fou-Li, un peu après sa douzième année, séjourna à Shanghaï. Ensuite, il partit pour l’Amérique, débarqua à San-Francisco et s’établit dans la Nouvelle-Angleterre.

    On s’est attaché particulièrement, en cette traduction de ses souvenirs, à rendre le caractère de douce puérilité qui apparaît toujours dans la pensée et sans le style d’un Céleste.