C’est ici la grand’route de la vie. Par là ! tout droit.
Il y a longtemps qu’on ne sait plus où cela mène. Il y a longtemps qu’on s’est fatigué de cheminer. La grand’route ! Monotone, droite, toujours de même, sans ombre… C’est par là. C’est tout droit : il n’y a qu’à aller.
Vers quoi ?
Lorsqu’on s’est mis en route, le matin était frais, les jambes étaient allègres. On allait pour aller : on était dans les bois ; il chantait des oiseaux ; sinueuse, fleurie, la route vous invitait du mystère de ses tournants, de la grâce de ses replis, et du sourire de l’ombre, lèvres de verdure s’entr’ouvrant sur des perles de soleil.
— Où suis-je ?
À présent ? La plaine nue, sous le soleil implacable, la longue route poudreuse où l’on traîne ses pieds lourds.
Où suis-je ?
Dans la vie — celle de ton temps, la tienne, celle des autres, n’importe, — toutes n’ont de bonheur que celui que l’on porte avec soi. Malheureux ! en as-tu beaucoup sur toi, beaucoup ? — Ah ! le peu d’amour que tu goûtas est presque bu. Tu regardes le fond du verre avec regret.
— Où suis-je ? Le bonheur, en arrière, chaque pas en éloigne, comme chaque seconde éloigne de la fraîcheur du matin.
Ah ! cela pourrait, devrait durer un peu plus de temps ! Le reste de la vie pourrait avoir de l’ombre…
Peut-être, oui. Sème, ou plante le long de la route… Il y aura de l’ombre quand tu seras passé.
L’amour des hommes dure quelquefois plus qu’un printemps. Le froid de l’hiver l’endort à peine ; la brûlure de l’été semble ne pas l’abattre. Fleuve qui coule, continu… Mais il y goûte si peu !
C’est une suite d’hivers, de longues semaines se hissant jusqu’à un jour de joie, par échelons où seulement une seconde on souffle.
- ↑ Voir La revue blanche des 15 août et 1er septembre 1897.