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LA NATURE.



le protoxyde d’azote liquéfié est ingénieuse et hardie. Plus d’un physicien et plus d’un chimiste auraient certainement pensé qu’il y avait là des difficultés ou des inconvénients, mais le problème, est actuellement résolu dans les meilleures conditions.

L’appareil est contenu tout entier dans une petite boîte de la grandeur d’un nécessaire de voyage ; le récipient cylindrique en fer B est placé au milieu de la boîte, comme le représente notre gravure. Il y est maintenu par une vis calante. Un ajutage à robinet est adapté à sa partie antérieure ; un tube, courbé à angle droit, est muni d’une vis qui permet d’y adapter le tube qui communique au sac de caoutchouc R. Par l’intermédiaire d’une clef, on ouvre le robinet f ; le liquide s’échappe violemment à l’état de gaz, il fait entendre un sifflement, et le récipient de caoutchouc est rempli avec une rapidité extraordinaire. Quand le sac est plein, on ferme le robinet f, et l’opérateur applique contre la bouche du patient le système destiné à l’inhalation. C’est une poche concave, dont le bord, formant tampon, s’applique parfaitement sur le visage de manière à emprisonner complètement la bouche et le nez. Par le mouvement d’aspiration, une soupape b s’ouvre de l’extérieur à l’intérieur, et permet au protoxyde d’azote contenu dans le sac de caoutchouc de pénétrer dans les poumons ; par le mouvement d’expiration au contraire, les gaz chassés des poumons s’échappent par une soupape a, s’ouvrant en sens inverse de la première, c’est-à-dire de l’intérieur à l’extérieur. L’appareil est disposé de telle façon que l’on peut très-facilement s’en servir soi-même, sans aucun concours étranger ; on tient la poche respiratoire contre son visage, sans qu’on puisse craindre de prolonger involontairement l’action du gaz, puisqu’on n’a plus la force de tenir le système à sa bouche, dès que l’anesthésie fait sentir ses effets.

On a déjà souvent décrit l’action exercée sur l’économie par le protoxyde d’azote ; mais chaque individu ressent en quelque sorte une impression différente. J’ai respiré à plusieurs reprises, un sac de protoxyde d’azote, et je n’ai pas tardé, à chaque opération, à éprouver un affaiblissement extraordinaire dans tous les membres. L’effet est vraiment singulier et ne manque pas d’un charme réel. On croirait que la vie s’éteint peu à peu, insensiblement et sans secousse ; on se sent tout à coup incapable de remuer et d’agir. On s’éteint complètement jusqu’au moment du réveil ; l’insensibilité absolue ne dure guère plus de 40 à 50 secondes. C’est pendant cette courte période de temps que le chirurgien ou le dentiste accomplissent leurs opérations. Il arrive parfois que le patient n’a pas perdu connaissance, il voit, il a conscience de ce qui se passe autour de lui, mais il ne sent plus. Avant d’arriver à l’insensibilité, certains individus sont pris d’un fou rire, ce qui a fait donner le nom de gaz hilarant au protoxyde d’azote. J’ai, ces jours derniers, expérimenté sur une personne qui prenait tant de plaisir à respirer le gaz enchanteur, qu’il était difficile de lui arracher de la bouche la poche respiratoire ; à peine en avait-elle aspiré quelques litres qu’elle riait aux éclats, pendant plusieurs minutes consécutives : le rire était si violent, qu’elle en éprouvait des douleurs d’entrailles, mais il lui était impossible de modérer les élans de sa gaieté.

Dans ces derniers temps, le protoxyde d’azote a été soumis à une série d’expériences remarquables[1] qui tendraient à démontrer que ce gaz est dangereux à respirer, et que, s’il produit l’anesthésie, c’est par un commencement d’asphyxie. L’objection que l’on peut faire à cette affirmation, c’est l’usage continuel du protoxyde d’azote par un grand nombre de dentistes, qui n’ont presque jamais eu d’accidents à signaler. L’inhalation du gaz, quand elle n’est pas trop longtemps prolongée, est toujours agréable, et ne laisse aucun malaise, ne cause aucune perturbation ultérieure. Nous sommes persuadé que l’emploi du protoxyde d’azote se généralisera de jour en jour, puisqu’il est aujourd’hui aussi facile de l’employer que l’éther ou le chloroforme, « ces agents merveilleux et terribles, » comme les appelait Flourens. L’anesthésie n’est-elle pas, en effet, une des merveilles des temps modernes ? Quelles admirables substances que celles-là, qui arrêtent momentanément le sentiment de la vie, pour supprimer les effroyables douleurs des opérations chirurgicales !

À une époque où l’on n’avait pas soupçon de l’effet singulier exercé sur l’économie par de tels agents, l’étonnement fut extrême quand on apprit les expériences du grand chimiste Davy. Le protoxyde d’azote eut un succès universel ; on ne parla que de ce gaz étrange. C’était en 1799 ; le médecin Beddoes, avait fondé à Clifton, près de Bristol en Angleterre, l’Institution pneumatique, dans le but d’étudier les gaz qui venaient de se produire entre les mains de Cavendish, de Priestley, et que Lavoisier devait éclairer d’un jour si nouveau. Davy avait été chargé d’étudier les propriétés chimiques des gaz connus jusque-là et d’examiner l’action qu’ils exercent sur l’économie vivante. Par un hasard extraordinaire, le premier gaz que respira l’illustre opérateur fut le protoxyde d’azote. Davy publia bientôt un livre fort rare aujourd’hui : Recherches chimiques sur l’oxyde nitreux et sur les effets de sa respiration, qui est le véritable point de départ de la méthode anesthésique.

La réputation de l’Institution pneumatique ne tarda pas à se répandre dans le monde civilisé tout entier. Partout, en Angleterre et en France, on voulut respirer le protoxyde d’azote, qui passa alors pour un agent merveilleux, beaucoup plus efficace à procurer des sensations extraordinaires qu’à causer l’insensibilité[2]. Tout le monde fut frappé, en effet, de l’étrange

  1. Voy. la Table de la première année de la Nature.
  2. Sir Humphrey Davy nous parait avoir quelque peu exagéré les facultés intellectuelles procurées par l’inspiration du protoxyde d’azote. Il est vrai que ce gaz excite une douce gaieté, le rire même, et cause un état de bien-aise particulier, une ivresse charmante. Mais il y a loin de là aux impressions