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LA NATURE.

du ciel, et nous y trouverons plus de variétés que dans tous les changements à vue que l’opticien peut produire sur l’écran d’une lanterne magique. Tels univers planétaires éclairés par deux soleils ont toute la série des couleurs renfermées au-dessous du bleu et ne connaissent point les nuances éclatantes de l’or et de la pourpre qui jettent tant de vivacité sur le monde. C’est dans cette catégorie que se trouvent placés certains systèmes situés dans les constellations d’Andromède, du Serpent, d’Ophiuchus, de la Chevelure de Bérénice, etc. Tels ne connaissent que des soleils rouges, comme une étoile double du Lion, par exemple. Tels autres systèmes sont voués au bleu et au jaune ou du moins sont éclairés par un soleil bleu et un soleil jaune qui ne leur donne qu’une série limitée de nuances comprises dans les combinaisons de ces couleurs primitives ; comme une étoile double de l’Éridan, dont l’une est couleur de paille et l’autre bleue ; une du Bouvier, où la grande est jaune et la petite est d’un bleu verdâtre ; une du Cygne, dont la petite est d’un bleu intense. Nous avons, d’un autre côté, les assortiments du rouge et du vert, comme on en voit dans Cassiopée, la Chevelure et Hercule.

Quelle variété de clarté deux soleils, l’un rouge et l’autre vert, l’un jaune et l’autre bleu, doivent répandre sur une planète qui circule autour de l’un ou de l’autre ! à quels charmants contrastes, à quelles magnifiques alternatives doivent donner lieu un jour rouge et un jour vert, succédant tout à tour à un jour blanc et aux ténèbres ! Quelle nature est-ce là ! Quelle inimaginable beauté revêt d’une splendeur inconnue ces terres lointaines disséminées au fond des espaces sans fin ?

Si comme notre lune, qui gravite autour du globe, comme celles de Jupiter, de Saturne, qui réunissent leurs miroirs sur l’hémisphère obscur de ces mondes, les planètes invisibles qui se balancent là-bas sont entourées de satellites qui sans cesse les accompagnent, quel doit être l’aspect de ces lunes éclairées par plusieurs soleils ? Cette lune qui se lève des montagnes lointaines est divisées en quartiers diversement colorés, l’un rouge, l’autre bleu ; — cette autre n’offre qu’un croissant jaune ; celle-là est dans son plein ; elle est verte et paraît suspendue dans les cieux comme un immense fruit. Lune rubis, lune émeraude, lune opale ; quels singuliers lustres ! Ô nuits de la terre, qu’argente modestement notre lune solitaire, vous êtes bien belles, quand l’esprit calme et pensif vous contemple ! mais qu’êtes vous à côté des nuits illuminées par ces lunes merveilleuses ?

Et que sont les éclipses de soleil sur ces mondes ? Soleils multiples, lunes multiples, à quels jeux infinis vos lumières mutuellement éclipsées ne doivent‑elles pas donner naissance ! Le soleil bleu et le soleil jaune se rapprochent ; leur clarté combinée produit le vert sur les surfaces éclairées par tous deux, le jaune ou le bleu sur celles qui ne reçoivent qu’une lumière. Bientôt le jaune s’approche sous le bleu ; déjà il entame son disque et le vert répandu sur le monde pâlit, pâlit, jusqu’au moment où il meurt, fondu dans l’or qui verse dans l’espace ses rayonnements cristallins. Une éclipse totale colore le monde en jaune ! Une éclipse annulaire montre une bague bleue autour d’une pièce d’or ; Peu à peu, insensiblement le vert renaît et reprend son empire…

Ajoutons à ce phénomène celui qui se produirait si quelque lune venait au beau milieu de cette éclipse dorée couvrir le soleil jaune lui-même et plonger le monde dans l’obscurité, puis suivant la relation existant entre son mouvement et celui du soleil, continuer de le cacher après sa sortie du disque bleu et laisser alors la nature retomber sous le rideau d’une nouvelle couche azurée ! Ajoutons encore… mais non, c’est le trésor inépuisable de la nature ; y plonger à pleines mains, c’est n’y rien prendre[1].

Tels sont ces lointains systèmes solaires, ces univers mystérieux, que l’œil perçant du télescope commence à saisir, et que le calcul astronomique commence à analyser.

Camille Flammarion.
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RELIEFS À PIÈCES MOBILES
destinés à l’enseignement de la géométrie descriptive.

La géométrie descriptive est une des sciences les plus fécondes en applications. Elle sert à la construction des cartes géographiques, à l’art militaire pour le tracé des fortifications, en gnomonique, en mécanique usuelle, en topographie. Elle peut suppléer l’analyse mathématique et permet de trouver, par l’emploi de la règle et du compas, la solution des problèmes de l’espace. Elle apprend à l’artiste la distribution des ordres et des lois de la perspective. Enfin, des sciences appliquées de la plus haute importance, la charpente et la coupe des pierres, sont à la descriptive ce que l’arpentage est à la géométrie ordinaire.

Toutefois, toute personne ayant étudié la géométrie descriptive sait combien les premiers éléments de cette science présentent de difficultés. Il s’agit en effet de voir, d’après une épure tracée sur une feuille

  1. Pour donner à nos lecteur une idée des colorations singulières et variées de ces lointains soleils, nous avons reproduit sur la planche ci-dessus un choix des principaux systèmes, d’après nos propres observations et celles de notre ami H. Barnout, astronome amateur, qui s’est adonné l’année dernière à la révision complète du catalogue de Struve résumé par Dien. L’échelle adoptée pour les distances des étoiles représentées sur cette planche est de 0m,010 pour 1 seconde. Nous avons dû cependant raccourcir cette échelle pour quelques groupes, dont les composantes sont très-écartées ainsi, les nos 5, 10, 12, et 13 sont représentés à une échelle deux fois plus petite, c’est-à-dire de 0m,010 pour 2 secondes ; le no 6 à raison de 0m,010 pour 3 secondes ; le no 14 à raison de 0m,010 pour 4 secondes, et le no 11 à raison de 0m,001 pour 1 seconde ; autrement ces groupes seraient sortis de notre cadre. Les grandeurs des étoiles ont été représentées pas des disques proportionnels.