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LA NATURE.

Quand les pierres sont ainsi très-nombreuses, il y a intérêt à voir comment elles se distribuent sur le terrain. M. Daubrée, à l’occasion de la chute d’Orgueil (Tarn-et-Garonne, 14 mai 1864), a publié une carte qui montre comment les échantillons recueillis étaient répartis à la surface du sol. Le bolide se mouvant sensiblement de l’ouest vers l’est, les pierres ont recouvert une sorte d’ellipse dont le grand axe avait la même orientation. Et tandis que les fragments les plus volumineux sont parvenus à l’extrémité orientale de l’ellipse, les petits sont tombés à l’ouest et les moyens ont pris des positions intermédiaires. De façon que, comme le dit l’auteur, « ce triage a été évidemment produit par l’inégale résistance que l’air opposait à ces projectiles selon leur masse, ce qui s’accorde avec la supposition qu’ils arrivaient suivant la même direction et très-rapprochés les uns des autres. »

La description des phénomènes de la chute des météorites ne serait pas complète si nous ne disions un mot de l’impression profonde qu’il laisse dans l’esprit des spectateurs.

Lors de la chute de Saint-Mesmin, Aube (30 mai 1866), le nommé Carré, poseur du chemin de fer, éprouva une grande frayeur et fut saisi d’un frisson qui dura quatre minutes et d’un bourdonnement dans les oreilles qui persista près d’une heure.

On a assuré à diverses reprises que les animaux eux-mêmes sont très-vivement affectés avant même que l’explosion se soit fait entendre.

Biot en cite plusieurs exemples à propos de l’explosion du bolide de Laigle ; des faits analogues, sinon plus intéressants encore, ont été observés à Boulogne-sur-Mer lors du bolide du 20 juin 1866.

Ainsi un témoin assure que « son chien, quelques minutes avant le phénomène, était tourmenté ; qu’il avait la tête en l’air à la porte du bureau et qu’il tremblait. » C’est en cherchant la cause de ces allures inaccoutumées que ce témoin aperçut dans le ciel la traînée lumineuse. D’un autre côté, le gardien du fanal d’Alpseck assure que, peu de temps avant le phénomène, « ses poules, ses canards et ses pigeons étaient rentrés au logis tout aussi précipitamment que s’ils eussent été poursuivis par un chien. »

D’ailleurs, on est parfaitement autorisé à n’accorder à ce phénomène grandiose qu’une admiration mêlée d’appréhension, car plus d’une fois il a été la cause de terribles accidents.

On lit dans le catalogue où M. Ed. Biot a enregistré les météores observés en Chine, qu’une pierre, tombée en l’an 616 de notre ère, fracassa un chariot et tua dix hommes.

Le capitaine hollandais Willmann rapporte qu’étant en mer, une boule de 4 kilogrammes tua deux hommes en tombant sur le pont de son navire qui voguait à pleines voiles. Le fait se passait à la fin du dix-septième siècle. Vers la même époque, un franciscain fut tué à Milan par une petite pierre. On raconte qu’en 1837, un assez grand nombre de bœufs furent tués ou blessés à Macao, au Brésil, par une pluie de pierres, et nous pourrions multiplier ces exemples.

D’un autre côté, d’après divers récits, des météorites auraient parfois déterminé des incendies. Ainsi on trouve dans les Mémoires de l’Académie de Dijon que, dans la nuit du 11 au 12 octobre 1761, une maison fut incendiée par la chute d’une météorite à Chamblan, en Bourgogne. Les comptes rendus de l’Académie des sciences rapportent de même que, le 13 novembre 1835, un brillant météore apparut vers neuf heures du soir par un ciel serein dans l’arrondissement de Belley (Ain), éclata près du château de Lauzières et incendia une grange couverte de chaume ; les remises, les écuries, les récoltes, les bestiaux, tout fut brûlé ; on ajoute qu’une météorite fut trouvée sur le théâtre de l’événement. Cependant il n’est pas certain que la pierre dont il s’agit ait été la cause de l’incendie. Arago cite de nombreux témoignages d’après lesquels des incendies auraient été allumés par des météorites ; mais il ne paraît pas qu’un seul des faits énumérés soit incontestablement constaté, et il semble certain que les météorites, quoique souvent très-chaudes, comme on l’a observé par exemple à Braunau (14 juillet 1847), n’ont pas d’ordinaire une température suffisante pour déterminer l’inflammation des corps sur lesquels elles tombent.

Stanislas Meunier.

La suite prochainement.


PUBLICATIONS NOUVELLES

La France industrielle, par M. Paul Poiré[1].

Chaque siècle a ses prodiges : tantôt les arts prédominent comme à l’époque de la Renaissance, tantôt, au contraire, les vertus guerrières brillent avec un vif éclat et conduisent à l’héroïsme, comme dans les temps reculés de l’antiquité. Aujourd’hui les véritables merveilles de notre grand siècle résident dans le monde de la science : les chemins de fer, le télégraphe, la navigation à vapeur, ont déjà changé la face des sociétés, et, par l’extension prodigieuse que le règne de la machine a pu donner à l’industrie, les arts si utiles, si variés au moyen desquels l’homme transforme la matière, ont pris un développement exceptionnel. L’usine, la fabrique, voilà ce qui nous fait vivre aujourd’hui, ce qui prépare pour nous les vêtements, les matériaux de nos maisons, les substances propres à notre bien-être ; voilà la source de notre confort et de notre existence matérielle. Quel intérêt dans l’étude de ces procédés industriels qui assurent les moyens de notre vie sociale, dans la description des établissements où se produisent les matières qui subviennent aux néces-

  1. 1 vol. in-8, richement illustré. — Hachette et Cie, 1873.