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LA NATURE.

grands lacs de l’intérieur, auxquels il sert de déversoir. L’histoire de l’exploration du Gabon nous donne un exemple saillant de la gravité des erreurs que les explorateurs européens sont exposés à faire lorsqu’ils arrivent dans des régions inconnues. On croyait naturellement que le magnifique estuaire du Gabon, dont les dimensions sont colossales, ouvrait un passage aisé jusqu’au centre du continent. Mais on s’engageait dans une sorte de cul-de-sac aquatique sans issue. En effet, toutes les rivières qui se jettent dans l’estuaire ont un cours très-peu long et descendent des montagnes de cristal très-voisines de la côte. Le vrai fleuve existait, mais il se trouvait au sud de l’estuaire. Sa grandeur était dissimulée par un gigantesque delta. Il s’émiettait en une multitude de branches que l’on croyait des rivières sans conséquence. Ainsi, en 1863, M. Serval fut-il littéralement stupéfait lorsque après quelques jours de marche dans l’intérieur, il aperçut devant lui un fleuve immense descendant vers le sud, avec un cours large, impétueux, profond. L’Ogové, qui roulait devant lui ses ondes, est la grande voie qui conduira probablement notre pavillon dans les régions où l’Égypte a établi sa puissance, grâce aux admirables expéditions de Baker. Le lieu où M. Serval a fait ces observations se nomme Adolina Longo. Il a été vendu à la France par un monarque palhouin, très-sympathique à nos voyageurs, et très-amateur de l’eau-de-vie, qu’on nomme dans ces pays le roi soleil.

C’est là que les deux explorateurs français dont nous avons précédemment parlé, anciens soldats de la guerre franco-allemande, viennent d’établir leur quartier général. Ils nouent des relations avec les tribus voisines et attendent l’arrivée des savants de Berlin pour se lancer dans le haut du fleuve à coup sûr. Quand nos ennemis seront encore à se débrouiller dans le dédale du delta, MM. Marche et de Compiègne navigueront paisiblement vers les lacs intérieurs. L’avenir de l’expédition s’annonce sous les plus heureux auspices. En effet, un courageux voyageur, M. Laplat, du Sénégal, infatigable pionnier, a déjà éclairé la route et l’on sait que, sur un parcours de 500 kilomètres en amont d’Adolina Longo, le fleuve ne diminue ni de force de courant, ni de largueur, ni de profondeur. C’est en cet endroit que des bâtiments à vapeur feraient merveille. Si MM. Marche et de Compiègne en avaient à leur disposition, ils pourraient certainement devenir de nouveaux Baker. La flore et la faune du Gabon promettent aux explorateurs d’aussi grandes merveilles que son occupation étendue, consolidée, agrandie, donnera nécessairement de trésors à la France.


COSTE

(Suite et fin. — Voy. p. 295.)

C’est au collège de France que M. Coste créa, les appareils de la pisciculture qui, réduite à un petit nombre de préceptes, reçut pour la première fois une forme réellement scientifique. Il imagina ces fameuses étagères à éclosion et ces bassins où l’alevin, nourri d’une façon appropriée à ses appétits, acquiert rapidement assez de développement pour pouvoir être abandonné à lui-même dans des eaux courantes. Il y devina successivement tous les détails des manipulations délicates auxquelles donne lieu la récolte des œufs et de la laitance, et l’opération de la fécondation, variable suivant la constitution physique du frai, des différentes espèces.

Il construisit les premiers aquariums qui, figurant dans toutes les expositions, y répandirent partout le goût de la pisciculture, et, ce qui est encore plus précieux, des habitudes d’observation, si nécessaires au développement de l’intelligence. Étendant ses études sur tous les habitants des eaux, il analysa successivement la génération des huîtres, dont les mystères étaient inconnus, et celle des crustacés, dont les mues n’avaient été analysées que d’une façon imparfaite et insuffisante.

M. Guizot avait pris M. Coste en affection et voyait peut-être en lui un futur ministre de l’instruction publique. Mais la révolution de février éclatant, M. Coste fut appelé en toute hâte au ministère des affaires étrangères pour diriger l’évacuation, et protéger la fuite de la famille du ministre, devenu si justement impopulaire. C’est sous le ministère de M. Dumas que le gouvernement commença à prendre sous sa protection la pisciculture, et la fondation de l’Empire ne fit que mettre entre les mains de M. Coste de nouveaux moyens d’action dont il sut faire, on doit le reconnaître, un excellent usage.

Le gouvernement impérial lui donna les ressources nécessaires à la création de l’établissement de Huningue, destiné à l’empoissonnement d’eaux qui ne sont plus malheureusement françaises. Il favorisa la création de l’aquarium marin de Concarneau, que la Prusse peut vainement essayer d’imiter. Ce bel établissement modèle fut établi par un ancien marin, vieux loup de mer, qui mit au service des idées de M. Coste un enthousiasme dont les jeunes gens sont rarement susceptibles.

Si M. Coste eût voulu s’enrichir, combien il lui eût été facile de le faire ! mais il mourut sinon pauvre, du moins sans laisser aucune fortune. Ce sera la justification de ses amitiés impériales. Jamais il ne fit usage de son influence que pour la science, et il ne demanda de faveur que pour ses collaborateurs. Le gouvernement lui confia une mission pour étudier la pisciculture en Italie, et l’élève du saumon en Écosse, où elle a pris une importance si extraordinaire. Le résultat de ces importantes études fut la publication d’un magnifique volume édité avec luxe à l’Imprimerie impériale, et aujourd’hui épuisé, comme toutes les œuvres de M. Coste. L’auteur y décrit avec une grande vivacité de style cette étonnante fabrique de poisson frit et mariné qui s’est établi à l’embouchure du Pô dans les lagunes de Comacchio. Il raconte également avec une naïveté