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LA NATURE.

lustre ichthyologiste a eu surtout en vue de populariser la nécessité, trop peu comprise encore malgré la multiplication du nombre des aquariums, de vivre, en quelque sorte à côté des animaux marins, si on veut les étudier d’une façon réellement utile.

Ce n’est point de la vérité imparfaite, renfermée dans les livres, que le véritable ami des sciences se contentera, c’est à la nature elle-même que l’homme intelligent s’adressera s’il veut obtenir une réponse sérieuse.

Heureuse sera cette petite île de Penikese. Elle deviendra bientôt l’épouvantail de la routine, si les professeurs n’oublient jamais cette magnifique parole d’Agassiz : « Dans les examens que je ferai subir aux élèves de l’École Anderson, je ne leur demanderai jamais ce qu’on leur a appris, mais uniquement ce qu’ils ont pu voir. » Il y a, dans ce but, un entraînement magique.

L’exemple de M. Andersen a déjà trouvé des imitateurs. M. Gallampa, de Swampscott, a fait cadeau à l’École Penikese d’un yacht valant 100 000 francs. Ce joli navire, que nous avons représenté sur notre dessin, sera d’un grand usage pour les sondages sous-marins et les excursions indispensables à un enseignement d’un caractère aussi pratique que celui que M. Agassiz se propose de donner.

Un corps professoral nombreux, formé d’hommes éminents dont les noms sont pour la plupart connus en Europe, s’est mis à la disposition de M. Agassiz. Il se compose du docteur A. Packard et du professeur Putnam de l’Académie Peabody, à Salem, du comte Pourtalès et du professeur Mitchell, du service hydrographique, des professeurs Joseph Lovering et N.-S. Shaler de Harvard Collège, du professeur Brown-Séquard, du professeur Waterhouse Hawkins, d’Angleterre, du professeur Arnold Guyot, de Princeton New-Jersey, enfin de M. Paulin Rolter, artiste du Muséum de Cambridge.

Cent cinquante élèves s’étant présentés pour être admis dans une école qui ne peut en contenir que cinquante, on a été obligé d’en éliminer les deux tiers. Toutefois, apprenant l’intérêt que les dames prennent toujours à l’étude de l’histoire naturelle, si bien appropriée à leurs goûts, à leurs habitudes d’observation et à leur patience, M. Agassiz leur a, avec raison, réservé vingt places. Il n’a pas eu le mauvais goût de les exclure, comme on le fait encore dans un grand nombre de pays, et notamment dans certaines universités suisses. Craignant de voir reparaître, sous forme de visiteurs, les personnes qui n’avaient pu être admises d’une façon régulière, M. Agassiz a publié dans tous les journaux un avis annonçant au public qu’il n’y a pas d’hôtel dans l’île et qu’on ne peut recevoir à l’école d’autres hôtes que les élèves et les personnes attachées à leur instruction.

Il ne sera pas superflu de donner maintenant quelques détails sur l’administration matérielle d’un établissement d’éducation si bien en dehors de tout ce qui a été organisé jusqu’à ce jour.

Les élèves n’ont à payer que leur nourriture, préparée par un cantinier et vendue à prix coûtant. Comme les dortoirs ont été construits sur les fonds de l’École, on n’exige des pensionnaires aucun loyer proprement dit. Ils ont cependant une somme minime à verser chaque semaine pour représenter l’usure des meubles garnissant leur chambre à coucher, et le service personnel auquel donne lieu leur séjour dans l’établissement.

Les bâtiments ont été construits d’une façon économique, et l’École n’a point dépensé, à beaucoup près, tout son capital. Une somme de près de un million, placée sur l’État ou en valeurs de tout repos, sert à assurer le payement des professeurs et le service général, de sorte que les élèves, qui vivent à bien meilleur marché que n’importe dans quelle ville des États-Unis, n’ont à supporter aucuns frais d’instruction.

Enfin, comme un grand nombre de personnes désireront faire des collections pour leur usage personnel, peut-être même pour les vendre, les vases et l’alcool, achetés en gros par l’école, sont mis à la disposition des élèves, à prix coûtant, ce qui facilite beaucoup un genre d’étude attrayant et utile.

On ne saurait imaginer un système plus libéral et plus voisin de la gratuité absolue. Nous ne perdrons pas de vue les travaux d’un établissement qui, inauguré d’une façon si brillante, se trouve placé sous une direction si habile, si intelligente et si franchement philosophique.


LES CRIQUETS DÉVASTATEURS

(Suite. — Voy. première partie.)

Il existe de très-grandes difficultés, au point de vue entomologique, pour distinguer entre elles les espèces d’Acridiens migrateurs dont les ravages sont à redouter pour nos cultures. Elles sont réparties en plusieurs genres par les auteurs modernes.

Le genre Acridium (Geoffroy) renferme l’espèce la plus redoutable, qui heureusement ne vient jamais en Europe. Les caractères les plus saillants de ce genre sont tirés de la région moyenne du corps, de son premier anneau, le prothorax, portant la première paire de pattes. Il offre en dessous une corne cylindrique, libre et proéminente, droite ou courbe. La partie supérieure, peu prolongée en arrière, distinctement comprimée sur les côtés, présente en dessus une crête ou carène médiane plus ou moins élevée, sans carènes latérales sensibles ; les organes du vol sont bien développés dans les deux sexes, et composés, selon le caractère général des orthoptères, d’une paire antérieure d’élytres semi-coriaces, et en dessous d’ailes membraneuses beaucoup plus larges, dont toute la région postérieure se plisse au repos en éventail et se replie au-dessous de la région antérieure, de sorte que toute l’aile est alors protégée et cachée par l’élytre, comme un étui qui empêche les