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LA NATURE.

nouvelles épidémies ont encore frappé successivement ces régions de l’Inde, avec la plus cruelle énergie.

Jusque-là le fléau semble être resté dans le cercle de ses anciennes limites, mais en 1817, il déborde du cadre où il s’était maintenu jusque-là. À cette époque, on le voit gagner de proche en proche les rives du Gange, comme l’incendie qui accroît ses ravages. Semblable en effet à un feu dévorant que rien n’arrête, il attaque Calcutta en septembre, envahit le sud de la presqu’île de l’Indoustan, traverse la mer, et passe à Ceylan, où il fauche sans pitié la moitié de la population. En 1819, il s’avance plus loin encore, étend ses ravages jusqu’à la presqu’île de Malacca, envahit Java et certaines régions de la Chine ; en 1821, il gagne la Perse, en respectant quelques grandes villes, telles que Téhéran et Ispahan, que les autorités avaient pris soin de protéger par des cordons sanitaires.

C’est en 1826 que l’épidémie semble pénétrer en Europe pour la première fois. Son foyer se développe dans le Bengale ; le fléau suit bientôt la route des caravanes par l’Asie centrale ; il franchit l’Oural et se manifeste, en août 1829, à Orenbourg, où il vient d’être importé par des hordes kirghizes. Désormais les frontières de l’Europe sont franchies par le choléra ; le germe terrible est semé ; il croît et se multiplie. En 1831, il immole par milliers les victimes dans tout l’empire russe, depuis Moscou jusqu’à Odessa ; il trouve en Europe des conditions favorables à son extension, de grandes agglomérations humaines et des mouvements continuels de la population. Les troupes russes l’emportent avec elles jusqu’à Varsovie. Le fléau marche peu à peu vers les contrées de l’ouest ; une fois en Pologne, il est aux portes de l’Autriche et de la Prusse qu’il envahit en 1831. L’Allemagne tout entière est saisie de terreur et comme de vertige en présence des désastres causés par cette première apparition du choléra asiatique, que l’on appelle bientôt le choléra nostras ou sporadique. Cette date de 1831 est celle de l’apparition définitive du fléau dans l’Europe occidentale. L’Angleterre est bientôt frappée ; l’importation se fait par l’entrée dans un de ses ports d’un navire infecté venant de Hambourg. Dans les premiers mois de 1832, le choléra est signalé à Paris, puis quelque temps après en Belgique et en Hollande. L’invasion de la Hollande par le fléau est due à un simple pêcheur qui, atteint du choléra en Angleterre, viola la quarantaine établie dans les ports hollandais ; de nombreux cas de l’épidémie se signalèrent d’abord autour de lui, et se développèrent peu à peu sur une grande étendue. Les épidémies, de 1832 à 1836, ont été fréquentes et terribles sur divers points de l’Europe ; c’est pendant cette période qu’elles ont étendu leurs dévastations à Toulon, à Marseille et jusqu’en Algérie.

Après 1836, une période de neuf années s’écoule sans que le choléra soit nulle part signalé en Europe. En 1844, il sévit à Téhéran, dans la Perse, où des pèlerins indiens l’importent à la Mecque. Il gagne la mer Noire, Moscou et Saint-Pétersbourg en octobre 1847. Il jaillit de là sur l’Europe entière et ne respecte cette fois aucune contrée de notre continent. La Suède et la Norwége sont atteintes, et bientôt les États-Unis payent eux-mêmes leur tribut au fléau, qui frappe New-York, la Nouvelle-Orléans et certaines parties du Canada. La France fut de nouveau visitée par le choléra en 1853, 1854 et en juin 1865. C’est encore cette fois par les pèlerinages de la Mecque que l’épidémie est parvenue jusqu’à nous. Après avoir causé la mort de 25 000 habitants à la Mecque, elle étendit ses ravages à Constantinople, à Malte, à Marseille. Elle gagna Toulon, et Paris le 15 septembre.

On voit par ce tableau succinct que le choléra a presque, toujours suivi les mêmes routes dans sa marche envahissante. À trois reprises différentes, il s’avance de son centre de production, jusqu’aux confins de l’Europe, traverse la Russie et l’Europe centrale. Une quatrième fois il change son itinéraire et nous envahit par la Méditerranée, infestant l’Europe méridionale avec les voyageurs et les vaisseaux. L’implacable visiteur suit à n’en pas douter les grandes routes que l’homme parcourt, et ses allures paraissent être d’autant plus promptes que les communications sont plus fréquentes. Il suffit d’un voyageur atteint par le fléau pour en semer le poison dans une nation tout entière !


L’ŒUVRE DE MAURY
GÉOGRAPHIE PHYSIQUE ET MÉTÉOROLOGIE DE LA MER.

(Suite et fin. — Voy. p. 203.)

Nous avons dit que cette nouvelle branche de la science avait eu son origine dans les études relatives à la construction des Cartes de vents et de courants. Ces études, qui embrassaient les observations de toute nature faites par les navigateurs durant leurs traversées, ouvraient un champ illimité de recherches, aussi favorables aux intérêts de la science qu’à ceux de la navigation et du commerce. Mais Maury avait très-bien vu que tout système d’observations, pour produire des résultats, doit être organisé en vue de questions posées d’une manière précise. L’adoption par la conférence de Bruxelles d’un mode uniforme d’observations météorologiques à la mer, fut le point de départ d’un rapide progrès dans la connaissance des phénomènes et des mouvements généraux de l’atmosphère et de l’Océan. Les principales nations maritimes, intéressées plus directement à ce progrès, réunirent en peu d’années de très-nombreux documents, dont le rapprochement permit d’entrevoir le brillant avenir réservé à la météorologie et à la géographie physique du globe.

À la première page de ses Instructions nautiques Maury disait : « Dans les travaux de notre entreprise nous nous sommes imposé une loi absolue, dont