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LA NATURE.

heureusement très-court, qui adhérait au tissu spongieux.

Comment la silice est-elle absorbée et élaborée de manière à produire une construction aussi singulière ? c’est un mystère que la découverte de l’Hyalonema toxeres ne peut permettre de résoudre. Cependant il n’est point sans intérêt de savoir que cette élaboration si curieuse peut avoir lieu à 1 200 mètres au-dessous de la surface des mers.

L’épaisseur de l’expansion membraneuse qui termine la tige transparente de notre Hyalonema toxeres, n’a point un centimètre d’épaisseur.

Cette masse fibreuse est traversée dans tous les sens par des lignes d’une substance plus résistante qui se réunissent et finissent par former le câble de verre. Elle est bordée, dans tous les sens, par une série de cils vibratiles. Ces Hyalonema abondent dans les régions sous-marines voisines de Saint-Thomas, car la drague a saisi plusieurs fragments avant d’amener le spécimen complet qui a permis à M. Wyville Thompson de décrire l’espèce qu’il a cru devoir former. Il n’est point inopportun de rappeler que la transparence du câble de verre est parfaite dans toutes les espèces d’Hyalonema ; c’est même à cette circonstance que ce genre doit son nom, qui en grec veut dire filaments transparents. Ces appendices merveilleux sont des objets si gracieux, que les Japonais en surmontent l’extrémité de faisceaux de papier doré ou d’étoffes brillantes, et en font des espèces d’aigrettes. Depuis que le Japon est ouvert, les pêcheurs mettent à part les plus beaux spécimens pour les vendre aux collectionneurs d’objets d’histoire naturelle.

La suite prochainement. —


LE CHOLÉRA

S’il y a un danger réel à parler d’un sujet capable de jeter l’alarme et de causer l’effroi, il y aurait également imprudence à vouloir cacher des faits que nous signale la presse de la plupart des pays civilisés de l’Europe. Il n’y a malheureusement pas à se le dissimuler, l’ennemi est à nos portes ; le fléau a été signalé en Russie, en Prusse, en Autriche, dans la haute Italie ; il a fait quelques victimes dans l’hôpital militaire du Havre ; si l’épidémie n’a encore exercé nulle part des ravages terrifiants, elle prend cependant des proportions croissantes dans certains pays. Il est indispensable d’arrêter par des mesures énergiques les progrès de l’épidémie. Les médecins étudient actuellement les moyens qui semblent efficaces pour lutter contre l’invasion menaçante ; nous espérons que leurs efforts, joints à ceux des autorités qui multiplient les quarantaines dans les ports, contribueront à nous débarrasser de cette épée de Damoclès, si souvent suspendue au-dessus des sociétés européennes dans le courant de notre siècle.

À Kœnigsberg surtout, le choléra prend chaque jour un caractère plus menaçant. Tandis que l’on ne comptait au commencement d’août que 16 à 18 cas de mort par jour, la mortalité vers le 10 du mois s’est élevée à 40 par vingt-quatre heures[1]. À la fin du mois dernier, le choléra a enlevé dans la même ville jusqu’à 146 malades par jour[2].

À Magdebourg, à Berlin, à Wurtzbourg, à Munich, les feuilles médicales nous signalent des chiffres analogues. Depuis quelques semaines, le fléau a augmenté ses ravages à Vienne ; il a suivi une progression croissante depuis le 1er août jusqu’au 25, époque à laquelle des renseignements nouveaux ne nous sont pas parvenus. Le comité d’hygiène de la ville a pris les mesures les plus énergiques pour assainir et nettoyer les égouts, désinfecter les vêtements des cholériques, etc. De toutes parts, on s’arme avec intelligence des moyens de défense propres à combattre l’apparition du terrible visiteur. Le choléra est officiellement reconnu à Venise, et les navires nombreux qui vont de cette ville à Alexandrie, sont soumis à une quarantaine dans le port de cette dernière localité. À Corfou, à Smyrne et dans les ports de la Grèce, une quarantaine est imposée aux navires venant de Trieste et de Venise. Mêmes précautions sont prises au Havre, ainsi que dans certains ports des États-Unis, où plusieurs cas de cholera nostras ont été signalés. Grâce à ces mesures hygiéniques, l’épidémie qui a menacé quelques villes, notamment Londres, a diminué rapidement pour disparaître tout à fait. De semblables faits sont bien de nature à nous rassurer, ils semblent nous prouver d’une manière certaine que les lois de l’hygiène, bien appliquées, font reculer le fléau, qui aime surtout à régner dans les localités insalubres et malpropres.

Au moment où la question émouvante et pleine d’actualité du choléra est à l’ordre du jour, nos lecteurs accueilleront avec intérêt quelques détails historiques que nous sommes en mesure de leur donner.

Le terme de choléra dérive des deux mots grecs χολή, ῥεῖν (écoulement de bile) ; il a toujours servi aux auteurs anciens pour désigner une maladie que caractérisait un flux intestinal abondant. Le choléra n’a ravagé l’Europe que depuis cinquante ans ; d’après des statistiques certaines, il lui a coûté plusieurs millions d’hommes ; il en a certainement enlevé plus de 300 000 à la France. Il doit être considéré comme une maladie nouvelle dans nos climats, car il diffère complétement des épidémies européennes des siècles qui ont précédé le nôtre. Le choléra est né sur les bords du Gange, au pied de l’Hymalaya, où depuis des siècles il sévit cruellement sur les populations de ces régions du globe. Le livre des Védas, un des plus anciens documents de l’histoire, fait mention du fléau, et nous atteste qu’il remonte aux origines les plus lointaines de la civilisation indienne. Sonnerat rapporte que depuis 1768 jusqu’en 1771, le choléra a coûté à Pondichéry et à ses environs plus de 60 000 habitants. En 1804, en 1806, en 1816, de

  1. Berliner klinische Wochenschrift.
  2. Centralzeitung.