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LA NATURE.

tout couvert de pollen. Tant que le bourdon ne visite que des fleurs du même âge, dont le style est encore très-court, le stigmate ne peut guère recevoir de pollen, mais lorsqu’il veut entrer dans une fleur plus âgée B, il frôle avec son dos couvert de pollen étranger le stigmate s qui se trouve ainsi fécondé. De ce que le pollen de la Sauge est déposé sur le dos de l’insecte, il résulte encore qu’il ne peut guère être porté sur une fleur d’une autre espèce, pour laquelle il doit se trouver sur la tête ou sur la trompe ; quelles que soient les fleurs que le bourdon visite avant de rencontrer une Sauge, le pollen dont il est chargé n’est pas gaspillé et sert, dès que cet insecte rencontre une fleur de Sauge d’un âge convenable.


CHRONIQUE

Le choléra. — Dans les premiers jours de ce mois, le choléra a fait son apparition à Berlin. Il y a eu au moins 8 cas bien caractérisés en une semaine. L’épidémie, d’après le Progrès médical, a éclaté depuis lors avec une grande violence parmi les troupes qui occupent les casernes de la place. D’après d’autres renseignements le choléra s’est déclaré à Hambourg avec une certaine intensité. Il sévit à Munich avec une violence plus considérable ; chaque jour compte depuis quelque temps une moyenne de 15 à 20 cas de choléra dont un grand nombre sont mortels. Dans la journée du 8 au 9 août, il y a 19 cas nouveaux et 6 décès. Dans la haute Italie, à Venise, à Padoue, à Trévise, on compte chaque jour un certain nombre de cas de choléra.

Un mirage extraordinaire. — Le vendredi 15 août les habitants de Flessingue, petite ville maritime de Hollande, située à l’embouchure du Hondt, aperçurent tout à coup une ville entière émerger du sein de la mer. Au milieu d’une brume légère, on distinguait des maisons, des arbres, se découpant avec netteté sur un fond grisâtre. Quand le train de chemin de fer où se trouvaient de nombreux voyageurs pour Heyst, passa les écluses le phénomène s’offrait dans toute sa beauté. La ville céleste apparaissait à l’envers, les maisons avaient leurs bases tournées vers le ciel, et leurs toits dirigés vers la mer. Ce mirage est très-probablement dû à des couches d’air formant miroir[1] : il s’est produit parmi temps très-lourd. La chaleur, au dire de nombreux témoins, était insupportable ; les éclairs brillaient çà et là dans le ciel, et les roulements d’un tonnerre lointain se faisaient entendre.

Les tremblements de terre. — Les tremblements de terre continuent à se produire dans le Val Mareno avec assez d’intensité pour avoir fini de ruiner l’église de Bellune. Moins éclairés que nos compatriotes de la Drôme, les habitants de ces montagnes vivent dans des alarmes continuelles. Comme l’intensité des secousses est loin d’augmenter, il faut croire qu’elles ne sont que des conséquences indirectes de la catastrophe antérieure. En effet, il est naturel qu’une secousse un peu vive bouleverse d’une façon notable l’assiette des terrains. Le régime des eaux minérales, ces agents si efficaces de commotions intestines doivent être profondément altérés. Il n’est pas étonnant qu’elles parviennent pour la première fois dans des cavités intérieures où sont accumulées ces substances qui les décomposent, soit à cause de leur nature propre, soit en raison de la température élevée à laquelle elles se trouvent soumises.

La surface de la terre est dans un travail constant et le repos apparent dont elle jouit n’est qu’une illusion tenant à la brièveté du temps pendant lequel nos observations sont faites.

D’Italie le fléau a passé dans le midi de la France, où il s’est manifesté vers le milieu de ce mois. Dans la nuit de jeudi 13 à vendredi, à trois heures moins cinq minutes, lit-on dans la Sentinelle du Midi, un mouvement s’est fait sentir à Montélimart, Châteauneuf du Rhône, Rac, Donzère, Pierrelatte, Viviers, le Theil, Rochemaure et Meyné. Plus faible à Montélimart et à Châteauneuf la secousse a été presque violente à Donzère et à Pierrelatte.

À Pierrelatte, la façade d’une maison s’est écroulée sur le coup, plusieurs habitations sont lézardées. À Donzère, toutes les maisons du quartier des Joannins sont crevassées, quelques-unes sont tombées. La montagne de Naon, sur la commune de Rac, s’est fendillée en divers sens. Les sources sortant de cette montagne ont disparu ou se sont fait jour à d’assez grandes distances de leur ancienne issue. Les habitants de ces villages sont dans la consternation ; ce n’est plus qu’en tremblant qu’ils entrent chez eux, et la plupart ont passé la dernière nuit en pleine campagne.

La géographie de l’Afrique centrale. — Le Times a publié une série de lettres de Sir Samuel Baker, affirmant que les deux lacs Tanganyika et Albert Nyanza ne forment qu’une seule et même Caspienne d’eau douce. Cette assertion est en contradiction formelle avec celle de M. Stanley qui prétend avoir fait avec le docteur Livingstone le périple de la partie septentrionale du Nanganyika, et reconnu qu’il ne communique avec aucun autre bassin lacustre. Les probabilités sont en faveur de la version de M. Stanley, car Sir Samuel ne dit pas avoir lui-même navigué cette fois sur le lac Albert. Les renseignements qu’il donne lui auraient été fournis par des voyageurs indigènes. Cependant il est prudent de ne point adopter de parti définitif avant les débats qui s’ouvriront devant l’Association Britannique à Bradford, le 15 septembre prochain. Les doutes que soulèvent les excursions géographiques de Sir Samuel n’entament point les résultats militaires et politiques qu’il est parvenu à atteindre. Son expédition était avant tout une conquête comparable à celle des Cortez et des Pizarre. Mais il a recueilli une multitude de documents précieux que nous nous empresserons de faire connaître.

Un champignon colossal (Bovista gigantea). — Un des marchands de comestibles de la rue Vivienne a exposé pendant une dizaine de jours au commencement du mois d’août un énorme spécimen de cette espèce de Lycoperdon vulgairement appelée vesse de loup. Le jour où il a été apporté des environs de Limoges, ce champignon avait 55 centimètres de longueur et 125 centimètres de circonférence. Il a atteint ces dimensions tout à fait colossales en trois jours. Mais il n’a pas tardé à se ratatiner, à s’affaisser sur lui même, et à se fendiller. Si on lui en avait laissé le temps cette masse qui avait l’aspect d’un énorme concombre eut pour ainsi dire disparu d’elle-même. Rien n’est plus curieux que de voir la manière dont ces plantes véritablement extraordinaires apparaissent et font en quelque sorte explosion. Dans

  1. Voir les Miroirs d’air, p. 138.