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LA NATURE.

Ces documents importants nous permettent de former une idée de la météorologie martiale, et de voir en elle une reproduction très-ressemblante de celle de la planète que nous habitons. Sur Mars comme sur la terre, le soleil est l’agent suprême du mouvement et de la vie ; là comme ici son action détermine des résultats analogues. La chaleur vaporise l’eau des mers et l’élève dans les hauteurs de l’atmosphère. Cette vapeur d’eau revêt une forme visible par le même procédé qui produit nos nuages, c’est-à-dire par des différences de température et de saturation. Les vents prennent naissance par ces mêmes différences de température. On peut suivre les nuages emportés par les courants aériens sur les mers et les continents, et maints observateurs ont pour ainsi dire déjà photographié ces variations météoriques[1].

Si l’on ne voit pas encore précisément la pluie tomber sur les campagnes de Mars, on la devine du moins, puisque les nuages se dissolvent et se renouvellent. Si l’on ne voit pas non plus la neige tomber, on la devine aussi, puisque comme chez nous le solstice d’hiver y est entouré de frimas. Ainsi il y a comme ici une circulation atmosphérique, et la goutte d’eau que le soleil dérobe à la mer y retourne après être tombée du nuage qui la recélait. Il y a plus. Quoique nous devions nous tenir solidement en garde contre toute tendance à créer des mondes imaginaires à l’image du nôtre, cependant celui-là nous présente comme dans un miroir une telle similitude organique qu’il est difficile de ne pas aller encore un peu plus loin dans notre description.

En effet, l’existence des continents et des mers nous montre que cette planète a été comme la nôtre le siège de mouvements géologiques intérieurs, qui ont donné naissance à des soulèvements de terrains et à des dépressions. Il y a eu des tremblements et des éruptions modifiant la croûte, primitivement unie du globe. Par conséquent, il y a des montagnes et des vallées, des plateaux et des bassins, des ravins escarpés et des falaises. Comment les eaux pluviales retournent-elles à la mer ? Par les sources, les ruisseaux, les rivières et les fleuves. Ainsi il est difficile de ne pas voir sur Mars des scènes analogues à celles qui constituent nos paysages terrestres : ruisseaux gazouillants courant dans leur lit de cailloux dorés par le soleil, rivières traversant les plaines en tombant en cataractes au fond des vallées, fleuves descendant lentement à la mer sur leur lit de sable fin. Les rivages maritimes reçoivent là comme ici le tribut des canaux aquatiques, et la mer y est tantôt calme comme un miroir, tantôt agitée par la tempête ; seulement elle n’y est jamais animée du mouvement périodique du flux et du reflux puisqu’il n’y a point de lune pour le produire. Du moins les marées causées par l’attraction du soleil n’y sont pas aussi sensibles que celles qui sont déterminées chez nous par l’attraction combinée des deux astres.

Ainsi donc, voilà dans l’espace, à quelques millions de lieues d’ici, une terre presque semblable à la nôtre, où tous les éléments de la vie sont réunis aussi bien qu’autour de nous : eau, air, chaleur, lumière, vents, nuages, pluie, ruisseaux, vallons, montagnes. Pour compléter la ressemblance, nous remarquerons encore que les saisons y ont à peu près la même intensité que sur la terre, l’axe de rotation du globe étant incliné de 27 degrés (l’inclinaison est de 23 degrés pour la terre). La durée du jour y est de 40 minutes supérieure à la nôtre. Devant cet ensemble, est-il possible un instant de s’arrêter à la constatation de ces éléments et de ces mouvements, sans songer aux effets qu’ils ont dû et qu’ils doivent produire ? Les conditions physico-chimiques, qui ont donné naissance aux premiers végétaux apparus à la surface de notre globe étant réalisées là-bas comme ici, comment auraient-elles pu se trouver en présence sans agir d’une manière ou d’une autre ? sous quel prétexte scientifique pourrions-nous imaginer un empêchement arbitraire à la réalisation de ces résultats ? Il faudrait en effet une interdiction incompréhensible un veto suprême, quelque chose comme un miracle permanent d’anéantissement, pour empêcher les rayons du soleil, l’air, l’eau et la terre (ces quatre éléments devinés par les anciens) d’entrer à chaque instant dans l’évolution organique : tandis que la moindre gouttelette d’eau se peuple ici de myriades d’animalcules, tandis que l’Océan est le séjour de milliers d’espèces végétales et animales, quels efforts ne faudrait-il pas à la raison, pour imaginer qu’au milieu de pareilles conditions vitales, le monde dont nous nous occupons puisse rester éternellement à l’état d’un vaste et inutile désert ? …

Camille Flammarion.

LES FONDATIONS PAR L’AIR COMPRIMÉ

De tous les ouvrages que les ingénieurs ont à exécuter, ce qu’il y a de plus difficile peut-être est de donner des fondations solides aux ponts établis sur de grandes rivières. Le lit des cours d’eau est le plus souvent de la vase ou du sable, l’obstacle que la maçonnerie oppose au courant détermine des affouille-

  1. Le 18 octobre 1862, à 8 heures 13 minutes du soir, le P. Secchi observa sur la planète Mars une tache en forme de tourbillon, qu’il dessina séance tenante, et qui donne tout à fait l’idée d’un vaste cyclone. Le 13 octobre de la même année, M. Lockyer, en Angleterre, remarqua vers 10 heures du soir qu’une partie du continent, qui aurait être visible, était cachée par un long voile blanc, qui s’étendit ensuite sur l’Océan voisin. Le même soir, après minuit, M. Dawes remarqua aussi cette traînée de nuages qui occupait alors une place assez éloignée au sud. Pendant l’opposition de 1873, j’ai souvent remarqué que, du jour au lendemain, à la même heure matinale et dans les mêmes conditions optiques, l’aspect de la planète était singulièrement changé. C’est ainsi que le 22 juin, à 9 heures du soir, une vaste traînée nuageuse, étendue vers l’équateur, lui donnait un certain air de ressemblance avec Jupiter.