La Planète Mars d’après les dernières observations astronomiques/02

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LA PLANÈTE MARS
D’APRÈS LES DERNIÈRES OBSERVATIONS ASTRONOMIQUES
ÉTUDE DE SA GÉOGRAPHIE ET DE SES CONDITIONS D’HABITABILITÉ.

(Suite et fin. — Voy. premier article.)

Nous avons résumé nos connaissances physiques et chimiques sur la planète Mars. Nous pouvons les compléter par l’examen de ses conditions mécaniques particulières, telles que son poids, son volume, sa densité, et l’intensité de la pesanteur à sa surface.

Le diamètre de Mars est à celui de la terre dans la proportion de 5 à 8, c’est-à-dire qu’il est presque moitié plus petit ; il est de 1654 lieues, celui de la terre est de 3184. La surface de Mars par conséquent, est deux fois et demie moins étendue que celle de la terre. Le poids total de la planète, ou sa masse est seulement le dixième du poids total de notre globe. D’après les mesures, prises à l’Observatoire de Paris, l’aplatissement polaire de ce globe est assez prononcé, car il égale 1/38.

La densité moyenne des matériaux qui composent cette planète est inférieure à celle des matériaux constitutifs de notre globe ; elle est de 71 pour 100. Il résulte de cette densité et des dimensions de Mars que le poids des corps y est extrêmement léger à sa surface. Ainsi l’intensité de la pesanteur étant représentée par 100 à la surface de la terre, elle n’est que de 38 à la surface de Mars. C’est la plus faible intensité de la pesanteur que l’on puisse trouver sur toutes les planètes du système. Il en résulte qu’un kilogramme terrestre transporté là ne pèserait plus que 382 grammes. Un homme du poids de 70 kilogr. transporté sur Mars n’en pèserait pas 27. Il ne serait pas plus fatigué pour parcourir 50 kilomètre que nous pour en parcourir 20, et l’effort musculaire dont l’exercice a fait inventer le jeu de « saute-mouton » aux écoliers en récréation, serait capable de les faire sauter, non plus seulement sur le dos de leurs camarades, mais bien sur le toit des maisons et à la cime des pommiers.

Les êtres vivants, végétaux et animaux, étant composés des matériaux constitutifs de la planète et organisés suivant l’intensité des forces en action dans le milieu qu’ils habitent, la connaissance des éléments et des forces, qui se manifestent sur Mars, pourrait peut-être nous éclairer sur un commencement de solution pour le grand problème de l’habitabilité.

Les études de la statistique moderne démontrent scientifiquement que l’homme est le produit de la planète terrestre, en tant qu’être organisé et abstraction faite de son âme, dont nous ne nous occupons pas ici. Son poids, sa taille, la densité de ses tissus, le poids et la taille de son squelette, la durée de la vie, les périodes de travail et de sommeil, la quantité d’air qu’il respire et de nourriture qu’il assimile, toutes ses fonctions organiques, même celles qui paraissent le plus arbitraires et jusqu’aux époques maxima des naissances, des mariages et des décès, en un mot la machine humaine tout entière, est organisée par la planète. La capacité de nos poumons et la forme de notre poitrine, la nature de notre alimentation et la longueur du tube digestif, la marche et la force des jambes, la vue et la construction de l’œil, la pensée et le développement du cerveau, etc., etc., tous les détails de notre organisme, toutes les fonctions de notre être, sont en corrélation intime, absolue, permanente, avec le monde au milieu duquel nous vivons. La construction anatomique de notre corps est la même que celle des animaux qui nous précèdent dans l’échelle de la création. Nous sommes faits comme nous le sommes, parce que les quadrupèdes mammifères sont construits comme ils le sont, et ainsi de toutes les espèces animales, qui se suivent comme les anneaux d’une même chaîne ; en remontant d’anneau en anneau, on retrouve les premiers organismes rudimentaires qui sont plus visiblement encore, mais pas davantage, le produit des forces qui leur ont donné naissance.

Cette vérité rappelée, nous voyons que la forme humaine terrestre n’a rien d’arbitraire, qu’elle est le résultat de l’état de la planète, et que par conséquent, elle diffère sur chaque monde suivant les conditions organiques si dissemblables d’une planète à l’autre.

Appliquons cette analyse à l’étude de la vie sur Mars. Déjà nous l’avons dit, cette planète est de tous les mondes du système solaire, celui qui ressemble le plus au nôtre, les manifestations de la vie à sa surface ne doivent donc pas être absolument étrangères à celles de la vie terrestre. L’analogie si remarquable, qui relie ce monde au nôtre doit avoir déterminé chez lui des évolutions organiques partagées comme ici entre deux ordres généraux : la végétation et l’animalité. Or nous voyons que les végétaux tirant leur substance de l’air principalement ont une faible densité, inférieure à celle de l’eau ; ainsi la densité du sapin est de 0,5 celle de l’eau étant 1 ; celle du peuplier est de 0,4 ; celle de l’orme est 0,6 ; celle du chêne est 0,7 ; celle du tilleul est 0,6, etc. Les animaux étant composés de substances dans lesquelles l’eau entre pour la plus grande part, ont une densité moyenne un peu supérieure à celle de l’eau. Ainsi la densité moyenne du corps humain est de 1,07, celle de l’eau étant prise pour unité ; celle des os est de 1,8 ; celle des cartilages est de 1,1 ; celle des nerfs est de 1,4 ; celle de la graisse est de 0,9, etc.

Ajoutons que la densité intérieure de tout astre est nécessairement composée de couches variées dont la légèreté augmente depuis les régions centrales, jusqu’aux couches supérieures. C’est ainsi que tandis que la densité générale du globe terrestre est de 5,5 comparée à celle de l’eau, celle des matériaux qui avoisinent la surface (pierres, grès, calcaire, granite) est de 2,5 à 2,7. La même proportion doit exister sur Mars. L’eau y est plus légère qu’ici. La densité des corps organisés doit y être inférieure à 0,8 celle de l’eau y étant peu supérieure à 0,7.

Les animaux et les végétaux doivent y être de plus haute taille qu’ici, quoique la planète soit plus petite. Ce n’est pas le volume d’un globe qui règle les dimensions des êtres vivant à sa surface, mais l’intensité de la pesanteur relativement aux conditions de milieux et de vitalité. Ainsi des hommes deux fois plus hauts que nous auraient une certaine difficulté à marcher, et se casseraient fort souvent les jambes à cause de l’intensité de l’attraction terrestre. Il leur faudrait quatre jambes, pour une plus grande stabilité. Les quadrupèdes en effet peuvent dépasser ces proportions, exemple : chevaux, chameaux, éléphants. Les seuls animaux qui puissent marcher sur deux jambes, les singes anthropomorphes, sont d’une taille inférieure à la nôtre, et il est possible que l’homme ne soit arrivé à sa taille naturelle qu’après des siècles d’exercice et de développement. Cette taille décroît aujourd’hui dans les pays très-civilisés à cause de la vie citadine et de l’accroissement du système nerveux au détriment du système musculaire. Dans l’eau, les animaux peuvent atteindre des dimensions plus considérables, (exemple : cachalots, baleines) à cause de leur légèreté spécifique dans ce milieu. Le règne végétal nous montre certaines espèces d’arbres, qui s’élèvent à des hauteurs géantes, à cause de leur immobilité. Ainsi la taille des êtres est intimement et nécessairement déterminée par l’intensité de la pesanteur.

Il est donc probable que les choses sont établies sur une plus grande échelle à la surface de Mars et que les plantes et les animaux y sont beaucoup plus élevés qu’ici. Ce n’est pas à dire cependant pour cela que les hommes[1] y aient notre forme et soient des géants. En remontant à la formation de la série zoologique, on peut augurer, que la succession des espèces aura fortement subi l’influence de la pesanteur. Tandis qu’ici la grande majorité des races animales a dû rester clouée à la surface du sol par l’attraction terrestre, et qu’un bien petit nombre ont reçu le privilège de l’aile et du vol, il est bien probable qu’en raison de la disposition toute particulière des choses, la série zoologique martiale s’est développée de préférence par succession des espèces ailées. Dans ce cas, les races animales supérieures y sont munies d’ailes. Sur notre sphère sublunaire le vautour et le condor sont les rois du monde aérien ; là bas, les grandes races vertébrées, la race humaine elle-même, qui en est la résultante et la dernière expression, ont le privilège très-digne d’envie, de jouir de la locomotion aérienne. Le fait est d’autant plus probable qu’à la faiblesse de la pesanteur, s’ajoute encore l’existence d’une atmosphère analogue à la nôtre et peut-être plus dense.

Sur la terre, un corps qui tombe du haut d’une tour ou d’une fenêtre, parcourt 4 mètres 90 cent., dans la première seconde de chute. Sur Mars, le même corps, attiré moins fortement, ne tombe qu’avec une vitesse presque trois fois moindre. Soit en raison de 1 mètre 87 cent. dans la même unité de temps. Les tentatives faites pour s’élever dans les airs à l’aide d’ailes construites dans ce but, n’ont pas réussi sur notre planète et ne peuvent réussir, parce que la pesanteur nous fait tomber de 4 mètres 90 cent. dans une seconde, et que le mouvement des ailes s’appuyant sur l’air ne peut nous élever de la même quantité dans le même temps. Si l’on pouvait faire quatre battements d’ailes par seconde il suffirait de s’élever de 33 centimètres par battement[2] pour pouvoir se soutenir et planer. Or la force d’un cheval pouvant seulement élever le poids d’un homme pesant 75 kilogrammes de 1 mètre en une seconde, et la force de l’homme étant au plus le cinquième de celle du cheval, la force de l’homme ne monterait son propre poids en une seconde que d’un cinquième de mètre, ou de 20 centimètres. En un quart de seconde, elle ne s’élèverait que de 5 centimètres. Donc l’homme ne peut pas voler sur la terre par sa propre force musculaire.

Sur Mars l’intensité de la pesanteur étant presque trois fois moindre, au lieu de 33 centimètres, il suffirait de s’élever de 12 centimètres par battement d’ailes d’un quart de seconde pour pouvoir se soutenir dans l’air et planer. Or, le même effort musculaire, qui nous élèverait ici à 5 centimètres nous porterait là à 13 centimètres, ce qui serait déjà suffisant pour vaincre la pesanteur. Mais d’autre part, un poids de 75 kilog. n’en pèse que 28 kil. 65 à la surface de Mars. Si donc, nous supposions aux hommes de Mars, une force musculaire égale à la nôtre, et un poids réduit proportionnellement à l’intensité de la pesanteur, nous en conclurions qu’il leur serait aussi facile de voler qu’à nous de marcher, et qu’ils peuvent se soutenir dans les airs à l’aide d’une construction anatomique peu différente de celle des grands voiliers de notre atmosphère.

Ce sont là, sans contredit, des hypothèses bien conjecturales ; mais elles sont appuyées toutefois sur une argumentation judicieusement fondée. La faible intensité de l’attraction de Mars permet aux végétaux de s’élever beaucoup plus haut que sur la terre, toutes choses égales d’ailleurs. Il en est de même pour les animaux qui marchent sur le sol. Cette même cause a dû déterminer une prédilection pour les formes aériennes, et les races animales les plus importantes, c’est-à-dire les vertébrés, depuis le premier échelon du genre jusqu’à l’homme lui-même, ont dû se construire, se développer, se succéder et s’établir définitivement dans la vie atmosphérique. La sélection naturelle n’a pu qu’aider encore à l’affirmation vitale de ce règne aérien.

Tout ce que j’expose ici ne doit s’entendre qu’au point de vue de l’organisme vital considéré en lui-même, et non pas au point de vue des formes extérieures. Je ne suppose point qu’il y ait sur Mars, des peupliers, des sapins, des chênes ; ni des chiens, des chats ou des éléphants, ni des hommes formés d’une tête pareille à la nôtre portée par un buste installé sur deux jambes, etc., le tout accompagné d’une paire d’ailes, à la façon des anges de Michel-Ange ou de Callot. Ce serait fort se méprendre sur les essais d’anatomie comparée qui précèdent, que de pousser l’anthropomorphisme jusque-là. Non ! de la forme nous ne pouvons rien dire, ni rien penser. Elle dépend de la direction primordiale, qui a été prise par les premières cellules organiques à l’époque de l’apparition de la vie à la surface de la planète ; et il est probable que les formes de la vie diffèrent essentiellement sur chaque monde. Je ne parle donc ici que de l’ensemble, et j’expose ce que l’énorme différence de pesanteur a dû déterminer dans les manifestations de cette vie, quelles qu’elles soient d’ailleurs.

Quoi qu’il en soit, nous devons savoir que notre organisation humaine terrestre, a été fabriquée, agencée, déterminée par la planète que nous habitons. Nous sommes la résultante mathématique des forces en action à la surface de ce globe. C’est cette vérité nouvelle de l’analyse scientifique moderne, qui nous autorise à essayer des recherches telles que les précédentes, lesquelles eussent été purement romanesques à une autre époque. En résumé, le problème se pose en ces termes : l’homme est la résultante des forces planétaires ; étant données ces forces, poser l’équation, et calculer cette résultante, inconnue jusqu’ici pour tous les mondes différents du nôtre.

D’ailleurs la planète Mars est la seule dont la physiologie générale soit suffisamment connue pour permettre d’essayer cette recherche.

Aux données qui précèdent, ajoutons celles qui constituent les périodes de la vie : la durée du jour et celle de l’année. La rotation de cette planète sur son axe s’effectue en 24 heures 37 minutes et 22 secondes[3] : le jour et la nuit y sont donc peu différents des nôtres quant à la durée, et ils varient comme ici suivant les saisons, étant plus longs en été qu’en hiver, selon les latitudes. L’année de Mars est presque double de la nôtre, car elle compte 687 de nos jours ; en la dénombrant en jours de Mars, on trouve qu’elle se compose de 668 2/3 de ces jours. De l’équinoxe de printemps à l’équinoxe d’automne, il y a 372 jours martiaux : c’est la belle saison de l’hémisphère boréal et la mauvaise de l’hémisphère austral. Les saisons hibernales ne durent que 297 jours pour l’hémisphère boréal, et par conséquent 372 pour l’hémisphère austral. De plus, comme la planète suit une ellipse très-prononcée, les extrêmes de température y sont plus différenciées qu’ici : elle est de 5 millions de lieues plus près du soleil à son périhélie qu’à son aphélie. C’est au solstice d’été de son hémisphère sud, que cette planète est actuellement à sa moindre distance du soleil, et par conséquent reçoit de cet astre, le maximum de chaleur. Il résulte de ce fait que les neiges polaires australes doivent beaucoup plus varier d’étendue que celles du pôle boréal, et c’est aussi ce que montre l’observation.

Chacune des saisons de Mars dure presque six de nos mois. La chaleur et la lumière que cette planète reçoit du soleil y sont en moyenne moitié plus faibles que celles que nous recevons. Le disque du soleil y est une fois et demie moins large. Les habitants de Mars, voient le ciel, les constellations, absolument telles que nous les voyons. Quant aux planètes, Jupiter est pour eux, plus brillant que pour nous. Il en est de même des trois autres grosses planètes Saturne, Uranus et Neptune.

Ils doivent avoir découvert à l’œil nu et avant nous les centaines de petites planètes qui gravitent entre leur orbite et celui de Jupiter. Mercure rapproché du soleil et perdu dans ses rayons est très-difficile à distinguer. Vénus leur paraît comme Mercure nous paraît à nous-mêmes. La terre où nous sommes est pour eux une brillante étoile, qui tantôt paraît à l’occident après le coucher du soleil, et tantôt précède en avant-courrière le lever de l’astre roi. Elle leur offre des phases comme Vénus nous en offre à nous-mêmes. En un mot nous sommes leur « étoile du berger, » l’astre le plus brillant, le plus magnifique de leur ciel étoilé. Peut-être même nous dressent-ils des autels !

Telle est la physiologie générale de cette planète voisine, dont la surface est quatre fois plus petite que celle de la terre, mais qui est plus favorablement partagée entre les continents et les mers. L’atmosphère qui l’environne, les eaux qui l’arrosent et la fertilisent, les rayons du soleil qui l’échauffent et l’illuminent, les vents qui la parcourent d’un pôle à l’autre, les saisons qui la transforment, sont autant d’éléments pour lui construire un ordre de vie analogue à celui dont notre propre planète est gratifiée. La faiblesse de la pesanteur à sa surface a dû modifier particulièrement cet ordre de vie en l’appropriant à sa condition spéciale. Ainsi le globe de Mars ne doit plus se présenter à nous désormais comme un bloc de pierre tournant au sein de l’immensité dans la fronde de l’attraction solaire, comme une masse inerte, stérile et inanimée, mais nous devons voir en lui un monde vivant, peuplé d’êtres sans nombre voltigeant dans son atmosphère, orné de paysages où le bruit du vent se fait entendre, où l’eau reflète la lumière du ciel. Nouveau monde que nul Colomb n’atteindra, mais sur lequel cependant toute une race humaine habite actuellement, travaille, pense, et médite comme nous sans doute, sur les grands et mystérieux problèmes de la nature.

Camille Flammarion.


  1. Je donne le nom d’hommes dans chaque planète aux êtres de la race animale raisonnable qui la domine, quelle que soit d’ailleurs leur forme extérieure, laquelle dépend de celle des ascendants zoologiques antérieurs.
  2. La chute des corps se fait par un mouvement uniformément accéléré. Dans le premier quart de seconde, il n’est que de 327 millimètres ; il est de 654 dans le deuxième quart, de 1308 dans le troisième, et de 2616 dans le quatrième. Total : 4m,90.
  3. Exactement : 88.642sec,735. La rotation sidérale de la Terre est de 86.164 secondes. Il y a naturellement dans l’année de Mars comme dans l’année terrestre une rotation solaire de moins. Par conséquent l’année de Mars se compose de 669 2/3 jours sidéraux, et le jour solaire, le jour civil qui est de 24 heures chez nous est là de 24h 39m 35s.