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quatrième runo

qui est malheureuse, les pensées des oiseaux des régions glacées sont semblables aux flocons de neige abandonnés sous l’auvent, à l’eau qui dort dans le puits sombre.

« Souvent mon âme, à moi, triste enfant, mon âme, à moi, infortunée, erre sur les gazons desséchés ; elle se glisse à travers les branches des arbres, elle se pose sur la verdure qui fleurit, elle se roule dans les touffes de feuillage. Mon âme n’est pas plus belle que le goudron, mon cœur n’est pas plus blanc que le charbon brûlé de la forge[1].

« Mieux eût valu pour moi de ne jamais naître à la vie, de ne jamais grandir pour ces jours funestes, pour ce monde vide de joie. Mieux eût valu pour moi de mourir âgée seulement de six nuits, de m’éteindre au huitième jour de mon existence. Alors il m’eût fallu bien peu de chose : un simple lambeau de toile, un tout petit coin de terre ; et je n’eusse coûté que quelques larmes à ma mère, encore moins à mon père, pas même une seule larme à mon frère. »

Et tandis qu’elle parlait ainsi, la jeune fille pleurait. Elle pleura un jour, elle pleura deux jours. Alors sa mère lui dit :

« Pourquoi pleures-tu, malheureuse enfant ? pourquoi te lamentes-tu, pauvre fille ? »

« Je pleure, je passe mes jours dans les larmes, parce que tu m’as promise, parce que tu m’as donnée, moi, ton enfant, pour servir de soutien au vieillard, de joie au décrépit, d’appui au chancelant, de gardienne à l’habitant du coin de la tupa[2]. Ah ! il eût été beaucoup mieux de m’envoyer au fond de la mer, pour y devenir la sœur des poissons, la parente des habitants de l’onde. Oui, il eût été préférable pour moi d’être ensevelie au

  1. Manière d’exprimer combien grande est la tristesse de la jeune fille.
  2. Chambre de famille. Même signification que pirrti, expression du dialecte de Savolax. Voir page 28, note 2.