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quarante-quatrième runo

mentes-tu, ô tronc à la blanche ceinture ? On ne t’a cependant point emmené à la guerre, on ne t’a point jeté de force au milieu du fracas sanglant des batailles. »

Le bouleau, le bel arbre répondit avec intelligence : « Un grand nombre pensent, un grand nombre racontent que je vis seulement dans la joie, dans une perpétuelle allégresse. Hélas ! infortuné que je suis ! je vis dans le chagrin et la douleur, je suis broyé par les angoisses, dévoré par les tourments.

« Oui, je déplore mon destin cruel, mon existence vide de bonheur ; je gémis d’être ainsi abandonné, sans défense, dans cet endroit funeste, dans ces pâturages toujours ouverts.

« Les heureux n’ont qu’un seul désir ; ils appellent les beaux jours, les jours ardents de l’été. Il en est autrement de moi, pauvre malheureux ! Je ne m’attends qu’à voir mon écorce déchirée, mon feuillage ravagé.

« Souvent, dans le cours du printemps, les enfants s’approchent de moi, le désolé, de moi, l’opprimé, et ils m’entaillent avec cinq couteaux, ils éventrent mon tronc riche de séve[1] ; et quand vient l’été, les bergers me dépouillent, sans pitié, de ma blanche ceinture, pour s’en faire, ceux-ci des cuillers, ceux-là des fourreaux, d’autres des corbeilles à myrtilles.

« Souvent les jeunes filles se pressent autour de moi, le désolé, de moi, l’opprimé, et elles arrachent mes branches chargées de feuilles, pour s’en faire des verges de bain[2].

« Souvent on m’ébranche, moi, le désolé, moi, l’opprimé, on m’abat pour le défrichement, ou bien on me coupe pour le bûcher. Déjà, deux fois, durant cet été, ce long été, des hommes ont campé sous mon ombre, aiguisant leurs haches contre ma pauvre tête, contre ma déplorable vie.

  1. La séve qui découle du bouleau à l’époque du printemps forme une boisson agréable.
  2. Voir page 32, note 1.