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trente-cinquième runo

jour, je m’avançai jusqu’au sommet d’une haute montagne, et de là je criai de toutes les forces de ma voix. Les bois sauvages me répondirent, l’écho hurla des profondeurs des bruyères : « Ne crie point, fille insensée ; ne fais point de bruit, pauvre biche, personne ne peut entendre ta voix ; elle n’arrivera pas jusqu’à la maison de ta mère ! »

« Lorsque trois jours, lorsque quatre jours, lorsque cinq ou six jours se furent écoulés, je me préparai à mourir, j’attendis ma dernière heure, mais la mort ne vint pas, je survécus à tout, pauvre infortunée.

« Ah ! si j’étais morte alors, peut-être que l’année suivante, peut-être qu’au troisième été, j’aurais verdi comme une motte de frais gazon, je me serais épanouie comme une belle fleur, j’aurais mûri comme une baie des bois, comme une fraise rouge et charmante ; et je n’aurais point été exposée à ces aventures étranges, je n’aurais point été éprouvée par ces horribles angoisses ! »

La jeune fille avait à peine achevé ces mots, qu’elle s’élança hors du traîneau et se précipita dans le torrent mugissant, au milieu des vagues écumeuses. C’est ainsi qu’elle finit ses jours, qu’elle embrassa la pâle mort ; elle trouva un refuge dans la demeure de Tuoni[1] ; elle trouva grâce sous les tourbillons sauvages de la cataracte.

Kullervo, fils de Kalervo, s’élança de son traîneau à son tour, et il se mit à pleurer amèrement, à faire retentir les airs de ses plaintes.

« Malheur à moi dans mes jours, malheur à moi dans mes œuvres étranges ! J’ai violé ma propre sœur, j’ai déshonoré l’enfant de ma mère ! Malheur à toi aussi, ô mon père, malheur à toi aussi, ô ma mère, malheur à vous, ô vieillards ! Pourquoi m’avez-vous donné la vie, pourquoi m’avez-vous engendré ! Il eût été mieux pour moi de ne pas naître, de ne pas grandir, de ne pas être produit à la

  1. Voir page 100, note 4.