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trentième runo

construisant son beau traîneau, les sœurs étaient sur le rivage, lavant le linge de famille.

Ils dirent tous ensemble : « Tiera ne peut aller, maintenant, à la guerre, sa lance ne peut se rendre au combat ; Tiera vient de faire un grand marché, un acte de commerce éternel[1] ; il vient d’épouser une jeune fille, de prendre une compagne, et il n’a pas encore eu le temps de caresser et de fatiguer son sein[2]. »

Tiera se trouvait sur la plate-forme du poële, Kuura[3] sur la couche du foyer[4], occupé à mettre ses chaussures ; il descendit dans l’enclos, et là il ceignit et boucla sa ceinture, puis il prit sa lance. Cette lance n’était ni des plus grandes, ni des plus petites, elle était de longueur moyenne. Un cheval bondissait sur le fer, un poulain y reposait, un loup hurlait au bout de la hampe, un ours grognait sourdement près de l’anneau[5].

Tiera la brandit avec force ; il l’enfonça d’une brasse dans la terre grasse du champ, dans la jachère en friche, dans le sol dépouillé de verdure. Ensuite, il se hâta de la joindre aux lances d’Ahti, et, se rendant à l’appel de son ancien frère d’armes, il partit avec lui pour la guerre.

Ahti Saarelainen poussa son navire dans la mer ; il le fit glisser à travers les vagues, comme glisse le serpent venimeux, le serpent vivant, sous la paille sèche, et il gouverna vers le nord-ouest, du côté des golfes de Pohjola.

Alors, la mère de famille de Pohjola envoya sur les ondes un froid sinistre ; elle l’exhorta de ses paroles et elle lui dit : « Ô Froid, mon tendre fils, toi, le plus beau

  1. On sait déjà que chez les anciens Finnois le mariage était une espèce de marché. Voir page 194, note 1.
  2. « Viel’on nannit nappimatta,
    « Rinpat riuahuttamatta. »

  3. Tiera et Kuura sont des noms propres qui s’appliquent, comme on le voit, à la même personne.
  4. Voir page 66, note 1.
  5. Il s’agit ici des figures de ces animaux incrustées ou gravées sur le fer et la hampe de la lance.