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vingt-huitième runo

laisse point ses cheveux, une seule mèche de ses cheveux, aux mains des habitants de Pohjola ? Déjà l’on entend un bruit gronder dans le village, un bruit sourd dans les habitations les plus proches, un murmure sinistre dans les habitations les plus éloignées[1] ; tous les yeux sont aux fenêtres.

Le joyeux Lemminkäinen, Ahti Saarelainen, dut revêtir une autre forme. Il s’éleva dans les airs changé en aigle, et voulut monter jusqu’au ciel. Mais le soleil couvrit ses joues de sueur, la lune rayonna sur ses sourcils.

Alors, le joyeux Lemminkäinen invoqua Ukko : « Ô Ukko, dieu bon, dieu suprême, maître souverain de la foudre, dominateur des nuages, envoie un temps brumeux, crée une nuée légère, afin qu’abrité sous son ombre, je puisse poursuivre ma route et me rendre dans ma demeure, auprès de ma douce mère, de ma bien-aimée nourrice ! »

Et Lemminkäinen reprit son vol ; mais voici qu’il aperçut derrière lui un vautour gris, un vautour dont les yeux flamboyants ressemblaient à ceux du fils de Pohjalainen, de l’ancien hôte de Pohjola.

Le vautour dit : « Ô Ahti, mon frère, te souviens-tu de notre dernier combat, de notre effroyable duel ? »

Ahti Saarelainen, le beau Kaukomieli, répondit : « Ô mon vautour, mon bel oiseau, hâte-toi de retourner dans ta demeure, et quand tu y seras arrivé, quand tu seras rentré dans la sombre Pohjola, tu diras : Il est difficile de prendre l’aigle avec ses serres, de déchirer l’oiseau puissant avec ses griffes. »

Bientôt Lemminkäinen atteignit la maison maternelle ; il avait les traits bouleversés, et son âme était sombre. La mère du héros vint à sa rencontre jusqu’au delà de la clôture de son habitation, et elle s’empressa de le questionner : « Ô le plus jeune de mes fils, ô le plus fort de mes enfants, pourquoi as-tu l’air si consterné en re-

  1. Voir page 65, note 2.