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le kalevala

Le joyeux Lemminkänen se mit à penser : « C’est bien là ce que ma mère m’avait dit, ce que ma nourrice m’avait prédit en gémissant. Oui, je vois, en vérité, la fatale barrière qui s’élève de la terre jusqu’au ciel. Le serpent rampe bien bas, mais la barrière s’enfonce encore plus bas, l’oiseau vole bien haut, mais la barrière monte encore plus haut. »

Cependant, Lemminkäinen ne s’inquiéta pas trop de cet obstacle. Il tira son couteau de sa gaine, sa terrible lame du fourreau, et il se mit à tailler dans la barrière, Il ouvrit une brèche dans la cloison de fer, dans la cloison de serpents, entre six, entre sept poteaux, puis il lança son traîneau en avant et arriva à la porte de Pohjola.

Un serpent s’étendait en travers du seuil ; il était long comme une des poutres de la maison, gros comme un des piliers de la porte ; il avait cent yeux, il avait mille dents, des yeux grands comme un tamis, des dents longues comme un manche d’épieu, comme un manche de râteau ; son dos était large comme sept bateaux.

Le joyeux Lemminkäinen s’arrêta ; il n’osa marcher sur le serpent aux cent yeux, sur le monstre aux mille langues.

Et il éleva la voix, et il dit : « Ô reptile noir des basses régions de la terre, larve teinte des couleurs de la mort, toi qui te roules dans le gazon, qui habites au pied de la fleur de Lempo[1], qui te glisses à travers les humbles touffes d’herbe, qui rampes à travers les racines des arbres, qui t’a envoyé, qui t’a excité à sortir des herbes profondes pour ramper sur la terre, pour ondoyer sur la route ? Qui t’a relevé la tête, qui t’a poussé, qui t’a exhorté à la porter droite, à roidir ton cou ? Est-ce ton père, est-ce ta mère, est-ce l’aîné de tes frères, la plus

  1. Voir page 41, note 3.