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vingt-troisième runo

l’aitta : les poils de son front flamboyaient, bien qu’il n’y eût point de feu, ses cheveux flottaient, bien qu’il n’y eût point de vent ; il grinçait des dents et il roulait les yeux d’une façon horrible. Il tenait une branche de sorbier à la main, un bâton sous le bras, et il m’en frappa violemment sur la tête.

« Quand le soir fut arrivé, quand il alla se coucher, il prit à côté de lui un paquet de verges, un fouet de cuir suspendu à un clou, pour mon compte à moi, pauvre malheureuse.

« Et j’allai aussi me coucher à mon tour ; je m’étendis près de mon époux ; il se recula un peu pour me faire place ; mais il me fit sentir suffisamment la dureté de son coude, la brutalité de ses mains, l’épaisseur de ses verges d’osier, le manche de son fouet garni d’os de morse.

« Je me levai de cette couche froide, de ce lit de glace ; mon époux se précipita sur moi ; il me jeta brutalement à la porte, me saisissant par les cheveux, et les dispersant au vent, les donnant en proie au souffle du printemps.

« À qui pouvais-je alors demander conseil ? De qui pouvais-je invoquer le secours ? Je me fabriquai des souliers d’acier, et je les attachai à mes pieds avec des courroies de cuivre. Puis, j’attendis derrière la porte que le furieux s’apaisât, que sa colère se calmât ; mais le furieux ne s’apaisa point, sa colère persista.

« Enfin, le froid commença à me saisir ; et je me mis à réfléchir, à méditer : en vérité, je ne puis rester plus longtemps sous le poids de la haine et du mépris, dans ce repaire de Lempo[1], dans ce nid de démons !

« Et je quittai mon habitation bien-aimée, j’abandonnai ma chère maison[2] ; et je pris ma course à

  1. Voir page 41, note 3.
  2. Il paraît assez étrange, après les sentiments qui viennent d’être exprimés, de voir la fugitive parler en termes si tendres des lieux qu’elle abandonne. Ceci n’est pas rare dans les runot, et s’il y a contradiction, elle n’est qu’apparente, les runot attribuant toujours aux