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vingt-troisième runo

les rivages sablonneux, les collines fleuries, je chantais dans chaque vallée, je gazouillais à la cime de chaque montagne, je jouais dans les bosquets, je folâtrais au milieu des forêts défrichées.

« Mais la bouche attira le renard dans le piége, la langue attira l’hermine dans le filet[1] ; le penchant, l’habitude attirèrent la jeune fille dans une maison étrangère, dans la maison d’un époux. Oui, la jeune fille naît, la jeune fille grandit pour devenir une femme dans la maison d’un époux, pour devenir esclave dans la maison d’un beau-père.

« Et je partis, tendre baie, pour un autre pays ; je fus emportée, léger arbrisseau, vers d’autres lacs ; je m’y rendis, pauvre myrtille, pour y être broyée, fraise délicate, pour y être maudite. Aucun arbre qui ne m’ait blessée, aucun aulne qui ne m’ait déchirée, aucun bouleau qui ne m’ait piquée, aucun peuplier qui ne m’ait mordue.

« Ainsi, je suivis mon époux dans sa maison, je fus emmenée dans la demeure de mon beau-père. On m’avait dit, au moment du départ, que j’y trouverais deux étages, chacun de six chambres, en bois de sapin ; que sur la lisière de la forêt s’élevaient des aittas[2] ; que la route y était bordée de prés fleuris, les montagnes de champs d’orge, les bruyères de champs d’avoine ; que l’on y gardait de nombreux coffres remplis de blé sec, d’autres remplis de blé vert ; que de riches trésors d’argent y étaient rassemblés, que d’autres y étaient attendus.

« Et, dans mon ignorance naïve, je donnai mon consentement et je partis. La maison croulante était étayée de six pieux, de sept poutres ; les champs défrichés ne produisaient que des malheurs ; les bosquets étaient vides d’affection ; je ne recueillis sur la route que des cha-

  1. C’est-à-dire les paroles séduisantes attirèrent la jeune fille dans le piége, dans le filet du mariage.
  2. Voir page 3, note 5.