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LE KALEVALA

hors de la maison comme la fumée, t’envoler comme une feuille ou te dissiper dans les airs comme une étincelle.

« Mais, tu n’es pas un oiseau, pour t’envoler, tu n’es pas une feuille ou une étincelle pour te dissiper dans les airs, tu n’es pas une fumée pour t’élancer hors de la maison.

« Ô jeune fille, ô ma jeune sœur, tu as fait un triste échange ; tu as échangé ton père bien-aimé contre un misérable beau-père, ta douce mère contre une dure belle-mère, ton frère chéri contre un beau-frère bossu, ta bonne sœur contre une belle-sœur à l’œil louche ; tu as échangé ton lit aux fins draps de toile contre un foyer noir de suie, ton eau pure contre l’eau fangeuse du marais, ton rivage sablonneux contre un champ de boue noire, tes charmants bocages contre une lande aride et glacée, tes collines chargées de baies contre les troncs informes d’une forêt défrichée par le feu.

« Croyais-tu, ô jeune fille, pensais-tu, ô tendre colombe, que tes chagrins finiraient, que ta tâche serait achevée lorsque expirerait le soir ; que tu serais emmenée là-bas, seulement pour y coucher et y dormir en repos ?

« Non, tu n’as pas été emmenée là-bas pour y coucher, pour y dormir en repos. Tu devras veiller, tu devras plier sous les chagrins, être envahie par les soucis, accablée par les ennuis.

« Tant que tu ne portais point de bonnet[1] tu vivais libre de chagrins, tant que tu ne portais point de bandeau, tu ne connaissais point les soucis ; le bonnet apporte d’abord les grands chagrins, le bandeau bleu les ennuis, le voile de lin les sombres tourments, les inquiétudes sans fin.

« Que manque-t-il à la jeune fille dans la maison de son père ? La jeune fille est dans la maison de son père comme un roi dans son palais ; le glaive seul lui fait défaut ! Il en est autrement de la belle-fille : la belle-fille

  1. Voir page 30, note 3.