Page:Léouzon le Duc - Le Kalevala, 1867.djvu/88

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
30
le kalevala

pleurer. Des choses prodigieuses et désespérantes se sont passées. Oui, je pleurerai, je me lamenterai toute ma vie ; car j’ai donné ma sœur Aino à Wäinämöinen, j’ai promis l’enfant de ma mère au runoia, afin qu’elle devienne son épouse, qu’elle serve de soutien au chancelant, d’appui à l’habitué du coin des vieillards[1]. »

La mère du jeune Joukahainen se frotta les mains et dit : « Ne pleure point, cher enfant, tu n’as aucune raison d’être triste. Mes vœux, les vœux de toute ma vie seront donc enfin comblés : je verrai le grand héros dans ma maison, le brave, parmi ceux de ma race ; j’aurai Wäinämöinen pour gendre, le célèbre runoia pour époux de ma fille. »

Mais, la sœur du jeune Joukahainen commença à pleurer, à son tour, à pleurer amèrement. Elle pleura un jour, elle pleura deux jours, couchée sur l’escalier de la maison ; elle pleura son grand chagrin, elle pleura la poignante tristesse de son âme.

Sa mère lui dit : « Pourquoi pleures-tu, ma bonne Aino, toi qu’a choisie un aussi grand fiancé, toi qui dois habiter la maison de l’homme illustre, qui dois t’asseoir près de sa fenêtre, et babiller sur son banc[2] ? »

La jeune fille dit : « Ô ma mère, ô ma nourrice, oui, j’ai raison de pleurer. Je pleure ma belle chevelure, ma jeune et luxuriante chevelure, mes fines boucles, car il va falloir les couvrir et les cacher[3], lorsque je suis encore si petite, lorsque je grandis encore.

  1. Les vieillards ont, dans les maisons finnoises, un coin qui leur est spécialement affecté.
  2. C’est-à-dire mener une vie facile et libre de soucis.
  3. Les femmes des Finnois ne se couvrent la tête et ne cachent leurs cheveux qu’après le mariage. Cet usage, qui presque partout est impérieusement obligatoire, donne lieu, dans certaines localités, à des cérémonies bizarres. La coiffure des femmes s’appelle kuntu ; elle est de formes très-variées, depuis le bonnet qui enveloppe toute la tête, le voile qui flotte sur les épaules, jusqu’aux bandeaux ou aux plaquettes qui entourent seulement les tempes, ou se posent légèrement au-dessus du front.